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produirait des effets contraires ; quelques-uns la goûteraient comme un plaisir dont ils sont trop privés ; la plupart, à qui l’extraordinaire semble une impertinence, feraient la grimace : — peut-être est-ce pourquoi nous nous plaisons aux Caprices de Marianne, tandis que tel autre y ressent de la mauvaise humeur et la témoigne.

Voilà, si je compte bien, cinquante et un an et trois mois, que les Caprices de Marianne ont, paru à cette place. Faut-il rappeler que c’était le second essai dans cette Revue, de notre collaborateur, M. Alfred de Musset ? André del Sarto avait précédé de six semaines ; Rolla devait suivre un mois après. C’était donc, sinon la première pointe du génie de Musset, du moins son aurore ; avant que les feux en vinssent frapper la Comédie-Française, dix-huit ans s’écoulèrent : l’atmosphère du théâtre est opaque. En 1851 seulement, comme il fallait des rôles pour la beauté régnante de Mlle Madeleine Brohan, l’auteur du Caprice fut prié d’accommoder à la scène les Caprices de Marianne. Le succès fut assez vif pour qu’une autre beauté, un quart de siècle après, voulût triompher dans ce personnage ; en l’honneur de Mlle Croizette, M. Perrin rétablit à peu près le texte primitif de la pièce ; il admit, pour la fin, un changement de décor auquel le poète avait renoncé ; il fit peindre exprès le cimetière où Marianne et Octave se rencontrent sur la tombe de Cœlio. C’est dans cette version nouvelle, plus conforme, à la toute première, que Mlle Tholer se présente aujourd’hui. La retraite imprévue de Mlle Croizette avait affligé le public : Mlle Tholer, pour consoler ce chagrin, a donc attendu qu’il fût apaisé ; on devrait lui savoir gré de sa modestie ; on ne l’a pourtant applaudie que du bout des doigts. On n’a de même accueilli la pièce qu’avec une faveur médiocre ; aurait-on préféré à cette ambroisie quelque pâté « bourre de marrons ? » Même en cette un de saison, je n’oserais jurer du contraire : sans gros appétit, nous gardons le goût grossier.

Le plus triste, en cette occurrence, est que la critique a le mieux marqué sa volonté de faire la moue. Le public, sans vif enthousiasme, se laissait bercer au rythme de cette prose, et de temps à autre, une cadence, apparemment mélodieuse entre toutes, l’avertissait d’applaudir. Voici que les experts interviennent pour démonter le subtil instrument ; comme s’il s’agissait de forcer une résistante machine, ils apportent leurs outils les plus solides. Ils attaquent les Caprices de Marianne comme ils feraient de Marie-Jeanne, de M. d’Ennery, selon les mêmes principes, et seulement avec moins d’indulgence. Ils examinent si l’action est bien menée, les personnages « sympathiques, » et le tout combiné de telle façon que le spectateur passe gaillardement la soirée. Cette pièce, à les en croire, n’est qu’un drame « sinistre et incohérent ; » le caractère de l’héroïne est obscur, et son obscurité se répand sur tout l’ouvrage ; la conduite de l’intrigue est abandonnée à un étourneau pris de vin ; le héros joue à