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plusieurs sapins, entre autres, l’épicéa ordinaire et un Tsuga, voisin de l’Hemlok Spruce du Canada.

La présence du cyprès chauve et l’absence concomitante du séquoia, qui redoute les hivers du nord de la France ; l’association du tilleul et de l’épicéa, dont le premier ne dépasse guère la Scanie, tandis que l’autre pénètre jusque dans le Norland suédois, suffisent pour indiquer la nature du climat qui régnait au Grinnell-land, à l’époque du paysage dont nous venons d’esquisser les traits. La moyenne annuelle de Lund en Scanie, où le tilleul et l’épicéa sont réunis, serait un peu faible pour le cyprès chauve. Celui-ci s’accommode du climat de Paris, dont la température moyenne est de 10 degrés ; mais, pour rencontrer l’épicéa en plaine, il faut remonter plus au nord et atteindre, vers l’Allemagne thuringienne, une moyenne annuelle de 8 à 9 degrés. C’est, à nos yeux, la solution raisonnable du problème. On voit que, relativement à l’état actuel aux mêmes lieux, c’est une surélévation de 30 degrés qu’il faut constater, et le cyprès chauve, qui maintenant en Amérique atteint à peine le 43o degré de latitude nord, aurait reculé de 40 degrés à partir de l’éocène supérieur, l’épicéa de 15 degrés seulement, le sapin du Canada de 30 à 31. Le pôle même, s’il était alors terre ferme, avait des forêts, sinon de tilleuls, du moins de bouleaux, de pins et de sapins : un jour sans doute il sera possible de s’en assurer.

Les gisemens tertiaires du Spitzberg, échelonnés sur la côte occidentale de cet archipel, consistent en lits charbonneux, déposés sous l’influence exclusive des eaux douces, épanchées en rivières et formant de grands lacs dont la présence est un indice non équivoque de l’ancienne extension de la région et de sa jonction probable avec le Groenland oriental. Nous sommes ramenés, par les gisemens du Spitzberg, au 78e degré de latitude et, par conséquent, à une distance de 300 lieues du pôle. L’effet de cet éloignement relatif se traduit dans la végétation reconstituée par Heer, grâce aux efforts persévérans des explorateurs suédois et de Nordenskiöld en tête, dans cinq expéditions successives, dont celles de l’été de 1868 et finalement de 1872 furent les plus fructueuses. En tout, c’est plus de 150 espèces de plantes, qui suffisent à donner le caractère de l’ensemble.

Au cyprès chauve de la terre de Grinnell viennent se joindre ici des séquoias, trop pareils à celui de la Californie pour ne pas dénoter les mêmes aptitudes. Un libocedrus, type des Andes, un thuya, puis des pins et des sapins, parmi lesquels reparaît l’épicéa, finalement des ifs : c’est l’aspect des forêts montagneuses des parties moyennes de la zone tempérée actuelle. Les graminées, les