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allant peut-être rejoindre l’Ecosse par les Orcades et s’avançant au nord jusqu’au-delà de la terre de Grinnell, c’est-à-dire plus loin que le 82e degré.

Sous l’influence d’un climat relativement doux et pluvieux en toutes saisons, comme le prouve l’abondance des fougères, les eaux douces jouèrent un grand rôle à la surface de ce continent sillonné de rivières, parsemé de lacs, de lagunes tourbeuses, tandis que sur d’autres points surgissaient des sources minérales ou thermales ferrugineuses, qui ont empâté dans une gangue sidérolithique les feuilles de beaucoup de végétaux. Cette terre en grande partie primitive et cristalline, c’est à dire émergée de toute ancienneté, mais recouverte aussi de formations crétacées ou jurassiques plus récemment exondées, était dès lors agitée par des feux souterrains, comme l’Islande l’est encore. Les épanchemens de basalte se sont fait jour entre les dépôts tertiaires, les ont interrompus, fracturés. Finalement, ce sont des phénomènes volcaniques auxquels il faut attribuer leur redressement et leur émersion, et ces dernières dislocations coïncident sans doute avec une dépression plus prononcée de la température. L’épuisement des précipitations aqueuses et l’envahissement progressif des glaciers auront marqué la terminaison de la riche et curieuse flore dont il nous reste à préciser les caractères.

Heer a conclu de la présence d’un grand nombre d’espèces communes au miocène inférieur ou aquitanien d’Europe et à la flore tertiaire arctique que celle-ci devait être considérée comme aquitanienne. Cependant cette même flore comprend aussi une notable proportion d’espèces que l’on observe dans l’éocène, bien qu’elles n’y soient pas exclusivement limitées. D’autre part, certains gisemens locaux, tels que celui de Bovey-Tracey, dans le Devonshire, d’abord considéré comme miocène, paraissent maintenant devoir être vieillis. En réalité, pour admettre sans restriction le point de vue adopté par Heer, il faudrait croire qu’à chaque étage et sur chacun des niveaux partiels de l’âge tertiaire, la végétation aurait été totalement uniforme, c’est-à-dire qu’elle aurait dû comprendre les même espèces du 30e au 80e degré de latitude nord. C’est là cependant une disposition qui n’est pas probable pour les temps auxquels nous sommes parvenus. Heer n’a pas pris garde à ce que, d’après ses propres calculs, la moyenne annuelle de la Suisse aquitanienne se trouve portée à 20 degrés centigrades, tandis que celle du Groenland septentrional n’est pas évaluée à plus de 12 degrés. C’est une différence équivalente à celle qui, de nos jours, sépare les Canaries des environs de Lyon et elle suffit amplement pour autoriser l’opinion que, lors du tertiaire, à quelque moment que l’on se place, sauf peut-être dans l’éocène très inférieur, l’Europe et le Groenland