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reste à tracer le tableau. N’oublions pas qu’elle doit être la dernière et qu’un ennemi, d’abord invisible, longtemps peu redoutable en apparence, s’avance et marche derrière elle : au point central de la région polaire, aussi bien que sur la cime des montagnes, la neige s’amasse et tend à élargir graduellement son domaine. Une fois permanente et convertie en glace, elle ne cessera de faire de nouveaux progrès ; et c’est, en fin de compte, cet obstacle matériel, plutôt que le froid absolu, qui amènera l’exclusion totale de la végétation arborescente des régions polaires, en n’y laissant subsister que les seules plantes montagnardes, chassées elles-mêmes des sommets et réfugiées dans les plaines inférieures, aux seuls endroits à l’abri de l’envahissement glaciaire.

Mais ces forêts tertiaires, encore opulentes, aucune barrière ne les séparait de notre zone. C’était, bien au contraire, partout où les terres polaires se soudaient à celles de la zone tempérée, vers des frontières indécises, que l’abaissement relatif du climat et plus tard l’envahissement des glaces refoulaient les espèces arctiques. Plus loin, vers le sud, ces espèces retrouvaient en émigrant de proche en proche les conditions qui leur faisaient défaut de plus en plus dans leur mère patrie. De là un exode, un rayonnement vers les trois continens et une émigration à laquelle nous devons en définitive une portion notable de nos types végétaux actuels. C’est l’idée que nous aurons à faire valoir et à développer, lorsque, après avoir esquissé l’ensemble de la flore tertiaire arctique, il nous faudra rechercher ce que devint cette flore ensevelie sur place, dont les explorateurs anglais, danois et suédois ont exhumé les restes et dont Heer a reconstitué patiemment le caractère et les traits.


III

Les plantes arctiques tertiaires sont très nombreuses : Heer a relevé deux cent quatre-vingts espèces de cette catégorie rien que pour le Groenland. La multiplicité des échantillons démontre à elle seule la richesse de la végétation et permet aussi de l’apprécier à coup sûr. Il n’y a pas de doute à concevoir sur le lien commun qui réunit toutes ces plantes, quelle que soit leur provenance. Une affinité mutuelle, une identité de physionomie attestent qu’elles ont fait partie d’un seul et même ensemble et que cet ensemble, contemporain sur les divers points où on l’observe, a dû se trouver soumis à des conditions sensiblement pareilles de température et de climat. L’humidité était grande aux alentours du pôle, à l’époque où ces espèces couvraient la surface d’un véritable continent, qui n’était autre, selon Heer, que le Groenland lui-même agrandi, s’étendant à l’est jusqu’au Spitzberg, englobant au sud l’Islande,