Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, en Europe et en Amérique, à la même époque, un grand pas venait d’être franchi. Par un mouvement, le plus considérable de tous ceux dont elle a reçu l’impulsion, la végétation s’est enfin complétée. Les arbres feuillus, les plantes à fleurs apparentes, aux organes sexuels régulièrement groupés sous la protection d’un calice et d’une corolle, ont achevé de se répandre. Ils ne cesseront désormais d’accroître leur importance et de multiplier les combinaisons sur lesquelles repose chacun de leurs types. — Remarquons pourtant combien est lente à se produire l’altération maintenant inaugurée du climat polaire. Dans la flore des couches d’Atané, riche de près de cent quatre-vingts espèces, on rencontre encore de nombreuses gleichéniées, dont les affinités tropicales nous sont déjà connues, et huit cycadées qui témoignent de la persistance d’une température au moins aussi élevée que celle de Nangasaki, à l’extrême sud du Japon. En effet, par une découverte récente et des plus merveilleuses, Heer a signalé comme provenant d’Upernivilk, point situé au-delà du 71e degré de latitude nord, un vrai cycas[1], dont les feuilles et l’appareil fructificateur ont été conservés côte à côte et qu’il est facile, par conséquent, de comparer aux formes vivantes du genre, actuellement partagé en deux sections très distinctes. L’espèce fossile groënlandaise se rapporte évidemment à la même section que le cycas actuel du Japon (Cycas revoluta), section qui ne renferme en dehors de ce dernier qu’une race ou variété indigène ou peut-être introduite et cultivée en Cochinchine. Le cycas fossile d’Upernivilk est certainement un proche voisin des précédens ; il n’en diffère pas plus que ceux-ci ne diffèrent entre eux, et on est fondé à lui supposer les mêmes aptitudes. Les régions arctiques entre 70 et 80 degrés de latitude nord auraient donc joui vers le milieu de la période crétacée d’une température de 18 à 20 degrés centigrades comme moyenne annuelle : c’est celle du Japon méridional auprès de Nangasaki, et de là l’isotherme ou ligne d’égale chaleur s’en va passer par la Chine moyenne, la Perse, la Sicile, l’extrême nord africain, puis atteindra Madère, la Floride et la Louisiane pour aboutir à la Basse-Californie. La moyenne annuelle du Groenland, par 70 degrés de latitude, étant d’environ 8 degrés centigrades au-dessous de zéro, ce serait un recul de 25 à 28 degrés perdus par le climat depuis le moment où le cycas dédié par Heer au professeur Steenstrup (C. Steenstrupi) vivait et fructifiait en plein air à Upernivilk, et ce recul équivaut à 30 degrés de latitude gagnés par le froid à la surface du globe et qui seraient rendus à la

  1. C’est-à-dire faisant partie, non plus seulement de la famille dos Cycadées, mais du genre Cycas en particulier.