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les plis de ses manches pagodes. — Ensuite il me regarde, attendant ce que je vais dire.

La grande case obscure se remplit peu à peu de gens qui entrent sans bruit et restent debout pour écouter : beaucoup de vieillards, tannés comme des momies sous des robes misérables ; des têtes carrées, des figures de Huns. Un groupe de Chinois, d’un air cauteleux, se faufile au premier rang jusqu’à nous, — reconnaissables ceux-ci à leur peau plus pâle, leur mine plus efféminée, leur longue queue et la belle soie de leur robe ; mauvaises gens d’ailleurs, fermens de sédition en Annam. Derrière toutes ces figures d’Asie on distingue de plus en plus nettement, dans les fonds, les choses caduques et bizarres qui sont partout pendues, les tam-tams, les hardes en guenille, les palanquins jadis somptueux ornés de monstres d’or et tout rongés de poussière. — Et mes matelots, toujours assis avec une nonchalance de conquête, semblent plus vivans, plus larges et plus désinvoltes, au milieu de ces vieilles poupées d’un monde mort.

Il se fait un grand silence quand je conte la bataille de Thuan-an, notre victoire et nos traités avec le roi de Hué. L’interprète traduit lentement mes paroles ; on n’entend plus autour de nous que le mouvement léger des éventails et des chasse-mouches. Cependant aucune marque d’émotion ne paraît sur ces visages attentifs ; évidemment, la nouvelle de leur défaite leur est déjà parvenue par les courriers du roi. Seulement ils échangent des signes, des clignemens de leurs petits yeux retroussés, comme se disant entre eux : « C’est bien cela ; c’est bien ce que nous savions ; son récit est certainement très véridique. »

À la fin, quand j’en arrive au but de ma visite, le vieux mandarin se remet à avoir peur. Venir à bord du bâtiment français !.. cette idée le fait trembler.

D’abord il discute un peu, et après il supplie. — Il viendra puisqu’il le faut, mais pas seul avec nous dans notre baleinière blanche, ramené comme un captif. Ah ! non, ce serait là ce qui l’effraierait, le mortifierait le plus. Pour sa sécurité, et puis par pompe, par convenance, il préférerait, si je veux bien m’en rapporter à sa parole, venir une heure après moi, dans sa jonque à lui, avec une suite et des parasols.

À cause de ses cheveux blancs et de son air de sincérité, j’accepte cette combinaison, et nous voilà tout à fait amis. Alors, les assistans, qui n’ont plus rien à écouter, se retirent en parlant bas, avec des tehintchinn et des révérences.

Cependant on nous a préparé un thé exquis qu’il nous faut boire avant de partir. Le mandarin nous le sert lui-même dans de