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il nous le donnerait peut-être. — Et Aïshouna de le questionner avec volubilité ; en arabe une longue explication avec force gestes s’ensuit, et elle saute de joie : — Comment n’y ai-je pas pensé? Il m’a dit juste la femme qui sait le mieux dans Alger : allons-y vite. — Elle tire son fichu plus de travers encore, et nous repartons.

Cette fois, nous redescendons par d’étroites coulées tortueuses, entre les maisons fermées comme des sépulcres blanchis. A peine de ci, de là, une échappée entre les terrasses sur la mer et l’horizon, ou un rayon de soleil oblique qui coupe l’obscurité par une bande d’or éblouissante.

Aïshouna m’explique que nous allons chez la fille du coiffeur, la vraie bonne travailleuse, celle chez qui j’aurais dû aller dès le début : « On ne pense pas à tout, » ajoute-t-elle philosophiquement ; et elle s’arrête sous une arche obscure, à une porte presque introuvable.

Elle frappe, et une négresse, vieille comme le monde et toute ruisselante d’eau, vient nous ouvrir, des torchons à la main.

Au fond du couloir, j’entrevois une cour ravissante, des faïences bleues, des arcades et d’autres négresses également ruisselantes qui lessivent tout cela. Mon guide annonce le but de notre visite.

La vieille rit et secoue la tête :

— Fatma vient de partir pour le bain.

— Et elle reviendra ?

— Pas avant six heures.

Nous nous regardons, décontenancées :

— Tu peux revenir demain, ajoute-t-elle ; et elle referme la porte.

— Aïshouna, je ne veux pas renoncer à mon idée : toutes les femmes ne sont pas au bain, il faut que tu m’en découvres une autre.

— Hélas! me répond-elle, j’ai bien une sœur qui sait la broderie et avec qui je ne suis pas fâchée. Mais je ne sais pas où elle demeure.

— Comment! tu ne sais pas où vit ta sœur?

— Non, les Arabes, ils déménagent tout le temps ! Alors, je ne sais pas.

La pauvre fille, tout à fait découragée, ne sait plus que proposer, et, machinalement, nous remontons la première rue qui se trouve, quand elle pousse un cri de joie : — Regarde cette belle négresse qui vient; elle pourra me renseigner : on l’appelle la reine.

En effet, rien de plus majestueux que la grande figure drapée, droite et lente qui descend sur nous. Son haïk, ses jupes de coton bleu foncé, l’enveloppent des pieds à la tête avec mille plis superbes.