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des stations, des gares, des embranchemens absolument imaginaires, il n’y a qu’un seul chemin de fer en Tunisie, celui, encore inachevé, qui mènera à Constantine, et puis les deux tronçons de Tunis à La Goulette et à Hammamlif. On est donc réduit partout aux longs trajets en voiture, à cheval ou à pied.

Cette fois, nous n’avons que de lointaines espérances de revenir coloniser à l’Enfida et nous quittons à grand regret la charmante hospitalité du Dar-el-Bey et ses hôtes.

Notre programme est de nous arrêter aux ruines romaines de Fradise, à quelques lieues au nord, encore sur l’Enfida et très peu en dehors de notre route. Nino, notre cocher maltais, a reçu toutes les explications sur les tournans à prendre, et nous partons.

Les alouettes nous accompagnent de leur note aiguë, et Ghazem, notre groom arabe, dont l’emploi me paraît jusqu’ici une sinécure, grimpe derrière la voiture, d’où il chante, comme les jours précédens, une mélopée très nasale, dialoguée à deux personnages et qui dure la journée entière. Même pendant les plus rudes cahots, il chante et ne tombe jamais, quoique accroché, comme un chat, sur l’extrémité d’un ressort.

Au bout de trois heures, naturellement notre cocher se trompe, enfile une traverse quelconque, puis soudain s’arrête. Qu’y a-t-il? Une roue ne tourne plus. Enfin Ghazem va servir à quelque chose. Il s’agite, pousse la roue, Nino aussi. Impossible : elle est comme soudée, et nous sommes échoués sans ressources au milieu d’une lande d’ajoncs.

La matinée est charmante ; nous devons être près des ruines, et le seul côté grave de notre aventure serait si nous manquions le train de cinq heures à Hammamlif pour Tunis, et alors où coucher?..

Il faut envoyer chercher du secours au Dar-el-Bey, d’où nous venons, et Ghazem, dételant un des petits chevaux, part dessus au galop en exécutant des fantasias effrénées. Il nous ramènera un forgeron.

Laissant le Maltais continuer ses efforts infructueux sur la route et héler au loin des Arabes indolens, qui se gardent de venir le secourir, nous partons à la recherche des ruines.

Un berger, qui passe avec ses chèvres, nous en montre la direction : — C’est tout près, nous dit-il.

Longtemps nous suivons une sorte de piste au pied des collines.

Quelques Arabes de rencontre, curieux de nous voir là, se joignent à nous, — très bonnes gens et courtois, — mais de Fradise point de nouvelles. Le soleil devient chaud, la route ardue.

Où allons-nous? Un cavalier arabe au galop franchit la lande et