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vivante nous communique la passion qu’il y met. Qu’il ferait bon venir passer ici de longs mois, dans l’air le plus pur du monde, assistant au curieux développement de cette large vie agricole, où plusieurs races diverses sont appelées à l’œuvre, où la fertilité est surprenante, où le paysage est d’une grandeur infinie! Et puis tout ce pays est plein de souvenirs, jonché de ruines intéressantes que l’on connaît à peine. Sa richesse à l’époque romaine était si considérable, que dix-sept villes, des villages, des fermes prospéraient sur le domaine. Des voies le sillonnaient en plusieurs sens, — un port servait de débouché à ses seules productions. Les guerres, les fléaux, les invasions berbères et arabes ont tout détruit, mais non tout épuisé. L’Enfida peut encore redevenir un grenier d’abondance et une colonie des plus florissantes. A tout instant nous en retrouvons la preuve. A la table hospitalière du Dar-el-Bey, on nous offre du gibier excellent, un superbe poisson, pris et péché sur le domaine; du miel exquis, il est d’ici ; des pommes de terre nouvelles, vraie primeur en décembre, — on les a arrachées dans le jardin ce matin ; des mandarines cueillies dans le verger; de l’eau minérale ressemblant à celle de Saint-Galmier, — elle jaillit à quelques kilomètres. Seulement, pendant tant de siècles ce riche pays a été si abandonné qu’il faudra de persévérans efforts pour le transformer de nouveau. Du côté des Arabes, il y a tant d’incurie, souvent de mauvais vouloir à vaincre! Pourtant, aujourd’hui même, M. Mangiavacchi remporte sur eux une nouvelle victoire ; une dernière tribu restée réfractaire est venue demander le pardon et la réconciliation et il va recevoir tantôt les chefs qu’il vient de se rattacher.

La journée est claire et ensoleillée, et on nous propose une course à Takrouna, ce village, ou plutôt ce nid d’aigles, dont les masures se confondent avec les aspérités d’un haut pic qui se dresse à l’horizon. Pendant bien des mois après l’occupation française, la tribu berbère qui habite ces sommets était restée hostile. Grâce à l’habileté conciliante du directeur de l’Enfida, les bonnes relations sont rétablies.

Nous laissons la voiture nous attendre à un petit marabout construit au pied de la montagne, et nous escaladons le rapide sentier de chèvres, seul côté accessible de ce repaire sauvage.

Les rochers gris couverts d’épines et de broussailles, les cactus, quelques chameaux engagés devant nous dans cette âpre montée, un petit âne au large fardeau débordant, nous rendent l’ascension difficile. Arrivés à une étroite terrasse, sorte de couloir serpentant le long du rocher et dominant le pays à une grande hauteur, nous voyons venir à nous les notables de la tribu, prévenus de notre visite et très empressés. Nous montons encore, par des défilés en