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Il nous faut conter nos aventures, et puis ressortir pour jouir d’un merveilleux coucher de soleil. Le vert intense du ciel est tout parsemé de petits joyaux roses, comme un collier de fées, — les belles cimes du Zaghouan sont devenues de l’indigo, — de longues fusées de lumière éclairent les troupeaux qui rentrent, les chamelles suivies de leurs petits, les microscopiques vaches arabes aux couleurs bariolées. De jeunes Bédouins, presque nus, grimpent sur les unes, galopent sur les autres.

Bientôt ce spectacle vivant fait place à une grande paix. Il ne reste plus que les lueurs toujours fidèles et transcendantes de nos crépuscules, qui s’éteignent lentement dans la nuit.


Lundi 17 décembre.

Nous revenons tout juste pour assister à la foire du lundi, que M. Mangiavacchi vient d’inaugurer pour attirer et servir de centre de réunion aux Arabes disséminés sur cet immense domaine.

Il y a deux ans, lors de l’insurrection, un grand nombre d’entre eux, qui avaient « fait le coup de fusil, » étaient passés en Tripolitaine ou avaient fui vers le sud. Ils reviennent maintenant; la sécurité est complète, et l’intelligent directeur cherche de toutes manières à les ramener et à les rattacher au sol. On a grand besoin d’eux pour peupler et exploiter dans la mesure de leurs facultés certaines parties du domaine. Cette superbe propriété de la Société franco-africaine manque de bras : c’est là sa grande épreuve. M. Mangiavacchi connaît admirablement la langue, les mœurs des Arabes, et leurs aptitudes. Personne ne saurait comme lui, à la fois, utiliser et influencer ces natures insaisissables et si naturellement hostiles. Aussi, depuis deux ans, a-t-il obtenu des résultats surprenans. De tous les côtés de cette Enfida, grande comme un arrondissement, la vie pénètre ; cette année, la plantation de la vigne et l’irrigation par des puits artésiens sont deux nouvelles entreprises qui pourront devenir des élémens de prospérité infinie et auxquelles il s’attache tout spécialement. Il vient d’installer dans un village créé pour elles, à quelques kilomètres du Dar-el-Bey, centre de l’exploitation, toute une colonie de familles maltaises.

Le climat est si beau, le sol si fertile et si productif, et le directeur si intelligemment dévoué à son œuvre, que l’Enfida nous paraît devoir devenir sous peu un coin de paradis tunisien.

La maison principale du Dar-el-Bey, où nous logeons, bâtie, abandonnée à plusieurs reprises pendant l’insurrection, assiégée alors