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le grand hangar clos, qui sert de logement à nos amis, assis sur leurs petits lits de camp, seuls meubles de cette chambre à coucher primitive, et cherchant à oublier que demain matin nous nous disons un triste adieu.


Dimanche 16 décembre.

Six heures du matin ; il faut partir. Notre voiture, désormais solitaire, hélas! attend devant la porte, et nous quittons ici nos compagnons, qui s’en vont, eux, par Sousse, poursuivre dans le sud de la régence leurs savans travaux et leurs recherches archéologiques.

Tout ce qui finit est triste, et surtout une longue et charmante association. Notre route est vers le nord, et au sortir de la ville que nous traversons dans la clarté naissante, le rude cahot du terrain desséché nous reprend.

Le spahi du colonel nous précède, cherchant les meilleurs passages dans les sillons profonds et innombrables de la voie. Parfois nous voyons son manteau rouge disparaître dans un ravinement soudain. C’est un oued qu’il faudra traverser après lui; mais le fond n’est presque toujours qu’une boue séchée, craquelée, ou un peu de vase gluante. La seule difficulté est de ne pas verser en descendant ou en gravissant les talus à pic qui s’effondrent sous les efforts des chevaux.

Le pays est plat, triste, monotone, comme une mer de chaumes, de petits joncs, de brousses de jujubiers dépouillés, dont les branches épineuses ont une teinte lilas ou gris perle tout à fait singulière. Des troupes de chameaux paissent dans les lointains, se profilant contre le ciel en lignes fantastiques.

Au milieu du jour, nous sommes au grand Oued, l’endroit critique de notre voyage. La boue sèche et amoncelée, les fondrières, ralentissent notre marche ; les cahots sont effroyables.

Dans le lit pierreux du torrent, une file de chameaux cherche prudemment le passage. Il y a peu d’eau, beaucoup de vase. Nos petits chevaux tirent vigoureusement aux cris du Maltais ; la voiture résiste aux secousses suprêmes, — nous ne versons point, — et nous avons passé !

Bientôt nous entrons sur le domaine de l’Enfida. Les haies de cactus gigantesques et d’aloës, et les vastes plaines entrecoupées de rigoles pour y retenir l’eau des pluies, indiquent que la culture commence ici. Vers cinq heures enfin, nous pouvons apercevoir les blanches terrasses du Dar-el-Bey, et peu après, nous sommes de nouveau les hôtes de M. Mangiavacchi.