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montre le quartier des Souks, pauvres petits bazars très primitifs, très pittoresques, où nous ne trouvons d’ailleurs absolument aucun achat à faire. Presque à chaque pas, l’entrée d’une zaouia, ou chapelle de famille, avec son école attenante, nous arrête. La ville sainte, peuplée de fanatiques, est toute remplie d’édifices religieux. Partout des matériaux antiques ont servi à honorer les marabouts, à élever leurs chapelles. Les colonnes romaines ou byzantines soutiennent des arcades mauresques; des bas-reliefs tout frustes, des chapiteaux corinthiens se reconnaissent, encastrés dans le mur, tantôt comme ornement, tantôt comme simple maçonnerie, selon la fantaisie de l’ouvrier.

Par elle-même, la ville n’a aucun caractère architectural. Les maisons sont pauvres, les longs espaces de murs blancs y tiennent une grande place. Elle a trop souffert, pendant des siècles, de guerres et de pillages, de dominations successives, de factions rivales, — prise et reprise, le perpétuel objectif des princes arabes à cause du prestige de sa sainteté, — pour avoir conservé intactes même ses mosquées. Mais, pour les musulmans, elle est toujours un lieu de pèlerinage ; sept visites à Kairouan équivalent à un voyage à La Mecque et confèrent le titre de hadji. Jusqu’à la prise de possession des Français, il y a deux ans, l’entrée des mosquées était absolument interdite, celle de la ville à peine tolérée aux roumis. Il me semble encore saisir plus d’un regard farouche à notre passage ; — en tous cas, aucune courtoisie de la part des marchands ou des passans. — Nous sommes dans une atmosphère d’austérité, qu’il faudrait peut-être peu de chose pour rendre hostile. Pourtant le gouverneur ne nous laisse deviner aucune rancune et une diffa nous suit de sa part chez le capitaine J.., qui nous offre à dîner dans son installation très arabe et très pittoresque. Le cousscouss et les gâteaux de viande à l’huile rance envoyés par M’rabot sont provisoirement mis de côté devant l’excellent agneau rôti et la très bonne cuisine de notre hôte. Tant pis ! Son excellence n’en saura rien.

Le capitaine J... avait bien voulu faire prévenir les Aïssaoua qu’ils auraient à nous donner une séance, quoique ce ne fût point leur jour d’habitude, et nous traversons, à la nuit close, précédés de lanternes, toute la longueur de la ville, pour arriver à leur mosquée, en dehors de la porte des Tanneurs. Ils sont déjà réunis en nombre, assis par terre, en cercles pressés, au centre de la salle. Dans un coin, quelques musiciens, avec tambours, tam-tam et castagnettes, au bruit sourd et brutal. On nous mène aux places d’honneur, sur le divan qui longe la muraille ; et peu à peu le spectacle commence, ennuyeux d’abord et monotone. Quelques khouans ou