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général d’armée qu’on pouvait toujours regarder et même déclarer comme n’ayant pas eu les pleins pouvoirs de son souverain ? » Cobourg se laissa persuader par cette insidieuse casuistique : tout compte fait, s’il était désapprouvé, il en serait quitte pour évacuer les places. Il aurait tenu sa parole, et en même temps, ajoutait-il dans son rapport à l’empereur : « Je serais entré dans ces forteresses, j’aurais davantage de les connaître et je n’aurais à coup sûr rien fait pour en améliorer l’état. » Rassuré par ces restrictions mentales, le prince de Cobourg accepta le manifeste et le signa dans la journée du 5 avril.

La perfidie était inutile. Tout était déjà perdu pour Dumouriez. L’arrestation des commissaires de la Convention et du ministre de la guerre était maintenant connue dans les camps. Le complot était éventé. Les mêmes soldats qui l’acclamaient deux jours auparavant, honnissaient désormais en sa personne le complice des étrangers, le fauteur de la contre-révolution. Il était parvenu à en rallier quelques-uns. Il s’avança le 5 avril vers Maulde aux cris de : « Vive le roi ! Vive M. Dumouriez ! » poussés par ces hommes que son prestige avait encore entraînés. A. Maulde, les troupes prennent les armes, Dumouriez les harangue et les presse de se prononcer : elles se taisent, elles résistent. Il sent qu’elles lui échappent. On lui apprend alors qu’à Saint-Amand, à son quartier-général, l’artillerie est en révolte, et se replie sur Valenciennes. Il ne peut l’arrêter. C’est le signal de la révolte. Dumouriez avait eu l’impudence d’amener dans son escorte des hussards autrichiens. Leur vue achève d’exaspérer les troupes ; c’est la trahison affichée, ils la fuient. Ce sont d’abord des hommes qui se dérobent, puis des bataillons qui se dispersent, enfin les camps entiers qui se disséminent. L’armée s’écoule vers Valenciennes, où sont les conventionnels et le nouveau commandant, celui auquel la loi ordonne d’obéir. Dumouriez n’a bientôt plus avec lui que 450 fantassins, autant de cavaliers, et les officiers, attachés à sa fortune. Le général de l’armée du Nord n’est plus, en son propre camp, qu’un chef de partisans. Il n’a plus de salut que dans la fuite ; il ne lui ; reste, comme il le disait cyniquement, d’autre ressource que « le temps de galop vers les Autrichiens. » Il franchit la frontière et passe à l’ennemi.


V

Il trouva chez l’ennemi la pire des humiliations et peut-être, pour un homme tel que lui, le pire des châtimens ; il vit qu’il était joué. Que cet ancien agent de la diplomatie secrète, que ce soldat d’aventure, ce déclassé de l’ancien régime se soit mépris sur le caractère et la portée de la révolution française, il ne faut point