Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/829

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les étrangers pour marcher sur Paris. Ils aimaient leur général, parce qu’il avait vaincu l’ennemi ; en pactisant avec l’Autriche, il ruinait son prestige et devenait odieux. C’était précisément ce qu’il n’avait pas prévu, et c’est en quoi l’on a pu dire qu’il était trop vieux pour son temps, et ne le comprenait pas.

Il employa la nuit à envoyer des ordres et à rédiger des proclamations aux troupes. « Je me suis rappelé ce que vous m’aviez promis : que vous ne laisseriez pas enlever votre père, qui a sauvé plusieurs fois la patrie… Il est temps que l’armée émette son vœu. Il est temps de reprendre une constitution que nous avons jurée trois ans de suite, qui nous donnait la liberté. » Il écrit à Mack, l’assure que tout va bien. Puis il s’occupe de mettre la main sur les places fortes, Lille, Valenciennes, Condé : elles seront son refuge en cas d’échec ; il les livrera aux Autrichiens s’il a absolument besoin d’eux et s’ils exigent un gage. C’est là que vont se manifester les premières résistances. Dumouriez charge le grand prévôt de l’armée, Lescuyer, de se rendre à Valenciennes et d’y arrêter le représentant Bellegarde. Lescuyer y trouve deux autres conventionnels : Cochon et Lequinio ; il ne peut se saisir du premier sans s’assurer aussi de ses collègues ; il hésite, il craint d’ameuter la population, et il demande des ordres. Il les reçoit le 2 avril au matin. Mais alors Ferrand, le général qui commandait la place et dont Dumouriez se croyait sûr, est pris de scrupules. Il temporise et prévient les conventionnels. Lescuyer, troublé à son tour, leur révèle ce qu’il sait du complot. Le bruit de l’arrestation de leurs collègues par Dumouriez se répand ; ils mettent en réquisition Ferrand et ses troupes, s’emparent des proclamations, se rendent dans les casernes, dénoncent la trahison et déclarent Dumouriez suspendu de ses fonctions. Les troupes et la foule les acclament. Le coup de main sur Valenciennes était manqué. A Lille, le même jour, Dumouriez voit ses projets détruits par les agens mêmes qu’il avait chargés de les exécuter.

Dans les camps, rien n’avait été préparé pour entraîner les troupes. Dumouriez comptait si bien sur elles qu’il avait jugé superflu de sonder les esprits de ses soldats. Cependant, à Maulde, le général Valence ne se décide à publier les proclamations que sur un ordre écrit. A Bruille, les officiers se rassemblent. Deux adjudans-généraux, Pille et Chérin, proposent d’arrêter Dumouriez. Chérin court à Valenciennes prévenir les représentans. La proclamation est publiée, mais on y joint un ordre du jour rappelant aux troupes leur serment à la république. Dumouriez, prévenu de ces résistances, tâche de contenir les récalcitrans. Le 2 avril, à trois heures, il paraît au camp de Bruille. Il excellait à parler aux soldats ; ils acclament en lui le sauveur de l’armée et de la patrie. Trompé