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Le 26, Dumouriez, continuant, sa retraite, arrivait à Tournay. Il y rencontra trois agens du pouvoir exécutif que Lebrun avait envoyés pour révolutionner la Hollande et qui se repliaient faute d’emploi. C’étaient un Belge, Proly, qui passait, pour être fils naturel de Kaunitz, ; un homme de lettres parisien, Dubuisson, et, un juif portugais, Pereyra, mêlés tous trois aux affaires de Hollande en 1787, et tous trois jacobins prononcés. Dumouriez ne leur cacha rien de ses projets. — « Mais, demanda Dubuisaon, qui fera la révolution ? — Mon armée, s’écria Dumouriez ; oui, l’armée des mameluks. Elle sera l’armée des mameluks, pas pour longtemps, mais enfin elle le sera ; et, de mon camp ou du sein d’une place forte, elle dira qu’elle veut un roi. Les présidens des districts seront chargés de le faire accepter. La moitié et plus de la France le désire. Et alors, moi, je ferai la paix dans peu de temps et facilement. » Ses interlocuteurs n’avaient qu’à le presser pour qu’il achevât de se découvrir. Ils lui objectèrent le décret d’accusation qui le menaçait. « Je me moque de ce décret et de tous les autres, répondit-il ; je défie la Convention de le faire mettre à exécution au milieu de mon armée ; et, au reste, j’ai toujours, pour dernière ressource, un temps de galop vers les Autrichiens. »

Il s’exaltait, il s’agitait, il n’agissait pas. Il semble, au moment décisif, avoir hésité. Voulait-il sauver les apparences, se faire attaquer, se laisser en quelque sorte forcer la main par les événemens ? Était-ce simplement un effet de sa confiance aveugle et de son incurable étourderie ? Toujours est-il qu’après avoir déclaré si hautement ses desseins, il laissa aux commissaires de la Convention le temps de se reconnaître et d’aviser. Trois de ces commissaires : Lacroix, Merlin et Gossuin, étaient à Lille lorsque, le 28, les agens de Lebrun, qui retournaient à Paris, les instruisirent, mais sans préciser beaucoup, de leur entretien avec Dumouriez. Le lendemain, ils reçurent de nouveaux renseignemens. Leurs collègues Treilhard, Lesage et Carnot les rejoignirent. Ils invitèrent Dumouriez à venir s’expliquer devant eux. Il leur répondit le même jour : « Envoyez-moi deux ou quatre d’entre vous pour m’interroger, je répondrai ; mais je vous déclare que je ne peux pas en même temps plaider et commander. » Le 30, il eut une nouvelle entrevue avec Mack. Il lui dit que les commissaires de la Convention, voulaient le faire arrêter, mais qu’il s’emparerait de leurs personnes, les livrerait aux Autrichiens et hâterait sa marche sur Paris. Il s’entretint avec lui, mais sans rien arrêter encore, de l’occupation par les Autrichiens de quelques places françaises, qu’il leur remettrait comme garantie de sa bonne foi. Il demanda qu’en cas d’échec, s’il était réduit à émigrer, les troupes qui le suivraient