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postérité ; il n’a rien fait avec précipitation ; si les commissaires de la Convention avaient voulu s’opposer à ses mesures, il aurait rendu ces ordonnances malgré eux. » Treilhard s’écrie que c’est une faute grave envers la Convention, que le général doit s’en justifier devant elle. Pour toute réplique, Dumouriez leur lit sa lettre au président, et ils le quittent indignés et consternés.

Cependant Lacroix et Danton, qui se trouvaient en Belgique au commencement de la déroute, étaient partis en toute hâte pour Paris. Le 8 mars, la Convention est instruite par eux du danger qui menace la république. Ils n’en connaissent encore que la moindre partie : ils croient Dumouriez fidèle. Robespierre soupçonne et accuse ; derrière les généraux qu’il dénonce, il vise Danton, qui semble les couvrir. Il demande une police et des bourreaux. Danton réclame un gouvernement et des armées. L’assemblée vote les mesures qu’il propose, elle envoie des commissaires dans les départemens pour soulever la nation et la pousser aux frontières. Paris s’agite, secoué par ces nouvelles. On ferme les théâtres, on bat le rappel, le tocsin sonne, les sections se rassemblent. Une journée se prépare. Le 9, au début de la séance, un député, encore inconnu, se lève et annonce qu’il va parler au nom du peuple. Il se nomme Carrier et demande la création d’un tribunal révolutionnaire « pour juger sans appel et sans recours les conspirateurs et les contre-révolutionnaires. » Le décret est voté, et le nom de Carrier entre dans l’histoire. L’émeute s’organise ; ceux qui la mènent se soucient peu du péril national et de la défense ; l’ennemi qu’ils poursuivent, ce sont les girondins, et ce qu’ils veulent, c’est le pouvoir. Le conseil délibérait quand on annonce que l’assemblée est envahie. Le ministère de la guerre, où le conseil était assemblé, est menacé par la foule. Beurnonville parvient à sortir, rencontre des volontaires bretons qui se trouvaient encore à Paris, se met à leur tête et délivre l’assemblée. Il se fait alors pendant les jours suivans une sorte d’accalmie. Le 14, la lettre de Dumouriez est remise au président de la Convention. Bréard, qui occupe le fauteuil, n’ose prendre sur lui de la lire à l’assemblée. Il la porte au comité de défense générale. Là on décide que Danton et Lacroix se rendront auprès de Dumouriez et le presseront de se rétracter. Le comité juge que Dumouriez est nécessaire à la tête des armées, et que, dans le danger où l’on est, il importe de ne point engager la lutte avec lui. Cette lutte, au contraire, Dumouriez la veut, il s’y prépare, et il espère encore, par une victoire soudaine, relever le moral de l’armée, ressaisir les troupes et reconquérir le prestige dont il a besoin pour la « grande aventure. »