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où se trouvait Valence. Pendant tout l’hiver, cette armée s’était débandée faute d’officiers, faute de discipline, faute de fournitures. Cet échec l’acheva[1]. Elle se retira devant l’ennemi, et la retraite se transforma bientôt en déroute. Redoutant les vengeances du prince-évêque, les habitans du pays de Liège, qui s’étaient prononcés pour la révolution, s’enfuyaient emportant ce qu’ils pouvaient, errans sur les routes, dans la neige, la plupart sans ressources. Les Autrichiens occupèrent Liège le 5 mars. Le prince de Cobourg, qui les commandait, frappa le pays d’une contribution de 600,000 florins, imputables principalement sur les biens des révolutionnaires : c’était la contre-partie du décret de décembre. En Belgique, les agens français enlevaient les objets précieux provenant du séquestre des communautés. La mesure ne devait point s’appliquer aux trésors des églises ; les agens n’en tiennent nul compte et font main basse sur tout ce qui leur convient. A Bruxelles, à Sainte-Gudule, une bande de scélérats saccage l’église et termine le pillage par une mascarade en habits sacerdotaux. Le peuple s’indigne et devient menaçant. Les commissaires du pouvoir exécutif le font désarmer par la troupe, prennent des otages et menacent la ville d’exécution militaire. A Grammont, le commissaire français est arrêté. L’insurrection se propage dans la Flandre ; il se forme des rassemblemens armés. On est à la veille de ces Vêpres siciliennes prédites et redoutées.

Le conseil exécutif, averti du péril, se décide à rappeler Dumouriez. Il reçoit le 8 mars l’ordre formel de rétrograder : c’est la ruine de ses projets ; mais il connaît mieux que personne le danger que court l’armée de Belgique, et il obéit. Tout en se préparant à combattre les Autrichiens, il s’efforce d’apaiser les Belges. Ce n’est pas le retour triomphal sur lequel il avait compté ; il tâche au moins que sa rentrée en Belgique suspende le désastre. A Anvers, le 10 mars, il expulse le commissaire du pouvoir exécutif, ferme le club et rassure les autorités. Le lendemain, il arrive à Bruxelles et se rend à l’assemblée des représentans, qui l’accueille comme un sauveur. Il les apaise, il promet de délivrer les otages, de restituer aux églises leurs trésors, de contenir les démagogues. Il désavoue et condamne, dans une proclamation affichée sur tous les murs, ces actes de brigandage ; il proteste que les Français ne sont venus en Belgique que « pour assurer la liberté et le bonheur du peuple. » Le 12, de Louvain, où il continue son œuvre, il écrit à Beurnonville : « Nous sommes environnés d’ennemis, et les plus dangereux sont les habitans, que nous avons réduits

  1. Dumouriez à Beurnonville, 12 mars 1792.