Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nom d’un principe de liberté, ou mieux au nom de l’égalité devant la loi, qu’ils maintenaient le droit des jésuites à enseigner aussi bien qu’à vivre en commun, ils se montrèrent plus opposés que les évêques et que la compagnie de Jésus elle-même au compromis qui, pour la faire tolérer en France, aliénait une partie de ses droits. Ils savaient du reste que le gouvernement « tenait à n’être pas persécuteur » et qu’il voulait éviter toute apparence de violence. Ce fut malgré les conseils de Montalembert que M. Guizot, aidé de Rossi, obtînt du saint-siège et du général des jésuites la dispersion volontaire des membres de l’ordre et la fermeture spontanée de leur noviciat. A une pareille transaction plusieurs des hommes qui se tenaient ferme sur le terrain du droit commun eussent préféré la guerre ouverte. Aussi l’évêque de Langres, en cela leur organe, avait-il conjuré les jésuites de subir toute espèce de persécution plutôt que de sacrifier « le principe de liberté qui est humainement aujourd’hui le boulevard de l’église[1]. »

Sous la monarchie de juillet, comme sous la troisième république, la cause des associations religieuses se liait intimement à celle de la liberté d’enseignement, et alors de même qu’aujourd’hui, s’il avait pour lui l’opinion populaire et peut-être les nécessités de la politique, le gouvernement n’avait de son côté ni les principes ni la logique. Montalembert et ses amis avaient l’avantage de combattre pour la liberté de l’enseignement « une main sur l’évangile et l’autre sur la charte » qui l’avait promise sans la donner. Cette dette de la monarchie, dont durant dix-huit ans les catholiques ne cessèrent de réclamer le paiement, ne fut soldée que par la république. A la fin du règne de Louis-Philippe, la plupart des catholiques, las d’une guerre de quinze ans, las de ne pouvoir faire brèche au monopole universitaire, étaient découragés. Montalembert et Dupanloup déploraient entre eux la faiblesse et l’inertie de l’épiscopat[2]. Leur cause, il faut le dire, avait comme d’habitude été compromise par les excès et les intempérances de certains de leurs alliés par d’injustes et calomnieuses attaques contre l’enseignement et la moralité de l’université, par la violence d’une presse religieuse qui commençait à déconsidérer une cause que les sarcasmes et l’injure n’ont jamais servie. Aussi les catholiques eussent-ils pu attendre longtemps la victoire sans l’aide inattendue d’un de ces bouleversemens,

  1. Lacordaire, il est vrai, en cela peut-être plus pratique que beaucoup de ses amis, n’était pas aussi opposé à un pareil compromis. Il craignait que la politique du tout ou rien n’entraînât, avec la proscription des jésuites, la ruine des dominicains et des autres congrégations à peine rétablies.
  2. L’abbé Lagrange, Vie de Monseigneur Dupanloup, t. Ier, p. 430.