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d’autant qu’aux témérités des idées s’ajoutaient chez lui celles du langage. La Mennais était trop impérieux et trop impétueux pour que, sous sa plume, la forme couvrît le fond et en dissimulât les aspérités ; il avait trop de confiance en ses propres lumières et en sa dialectique pour s’incliner devant les répugnances des évêques. A la désapprobation presque unanime d’un haut clergé demeuré gallican, La Mennais, qui continuait à combattre pour l’ultramontanisme en même temps que pour la liberté politique, prétendit opposer la suprême puissance devant laquelle il voulait tout courber, le pape. Pour se leurrer d’un pareil rêve, pour espérer en faveur de leurs doctrines la sanction formelle de Rome, il fallait des esprits aussi peu pratiques que La Mennais ou aussi inexpérimentés que ses jeunes amis.

La polémique de l’Avenir ne pouvait plaire au Vatican. En dehors de sa répulsion pour les nouveautés et de son naturel penchant pour le principe d’autorité, la cour papale, eu butte aux attaques des libéraux d’Italie, ne pouvait voir dans les appels de La Mennais à la liberté et à la démocratie qu’un encouragement aux révolutionnaires italiens et aux insurrections contre le saint-siège. Par ce seul fait, les catholiques libéraux suscitaient déjà des défiances que tout leur dévoûment à la monarchie temporelle des papes ne devait jamais entièrement dissiper. Néanmoins le Vatican répugnait à désavouer un homme regardé comme le premier apologie de la foi et une doctrine qui, en France, en Belgique, en Allemagne même, éveillait de nombreuses sympathies. Si La Mennais fut condamné, c’est qu’il exigea un jugement. Fort du silence de Rome, il eût pu se retrancher derrière le In dubiis libertas. Il n’y consentit point, il ne craignit pas de forcer la papauté à se prononcer entre ses adversaires et lui. Le présomptueux vint à Rome sommer le saint-siège de parler. La réponse de Grégoire XVI fut l’encyclique Mirari vos, qui, sans nommer La Mennais, condamnait l’Avenir. Les libertés que la feuille catholique exaltait comme un gage de rénovation religieuse, Grégoire XVI, dans son rude langage théologique, les flétrissait « comme des erreurs absurdes, ou mieux, comme un délire. » Toutes les libertés modernes en paraissaient atteintes ; la cour de Rome semblait leur avoir jeté un anathème que, trente ans plus tard, devait renouveler Pie IX. On sait quelles en furent les conséquences pour les personnes. La Mennais, un rebelle de tempérament, un démagogue inconscient, rétractait bientôt une soumission qu’il avait promise d’avance. Lacordaire, abattu et résigné, voyait, selon son expression, « tout crouler autour de lui ; » il avait peine à se soustraire au désespoir et rêvait à se faire curé de campagne. Montalembert, incertain durant trois ans, s’obstinant dans une fidélité désintéressée, « moins peut-être à la personne de l’apôtre déchu