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retombés sur l’église et le clergé leur avaient bruyamment révélé les périls de toute intimité du sacerdoce avec les princes et les rois. En face du pillage de l’Archevêché et du sac de Saint-Germain l’Auxerrois, les plus clairvoyans des catholiques avaient senti la nécessité de dénoncer les vieilles et compromettantes alliances, de séparer hautement les intérêts de la religion de ceux de la légitimité et de l’absolutisme monarchique ; en un mot, selon l’expression de l’un d’eux, de « dégager la cause catholique de toute solidarité temporelle, de toute alliance politique[1]. » Telle fut la mission que se donnèrent, en 1830, La Mennais et ses jeunes disciples ; tel fut le programme et le but de l’Avenir, et si, depuis, le clergé et les représentans attitrés des catholiques s’en sont écartés, ils n’ont guère eu à s’en féliciter. Dans cette entreprise hardie, les rédacteurs de l’Avenir ne s’arrêtèrent pas aux nécessités du moment, mais, à travers la fougue de leur polémique et en dépit même de leurs exagérations, ils déployèrent une singulière intelligence des temps nouveaux. Ils eurent, sur la situation de l’église et le rôle de la religion dans le monde moderne, sur les conditions de son existence et de son activité, des clartés dont leurs fautes et leurs imprudences ne sauraient obscurcir l’éclat. Les premiers ils comprirent que, pour l’église, la voie la plus sûre comme la plus honorable était de renoncer à jamais à l’appui du bras séculier pour « demander aux forces morales indépendantes ce qu’elle ne pouvait plus attendre d’une politique qui avait failli l’engloutir en s’abîmant si près d’elle[2]. »


III

Le grand promoteur de ce mouvement, le plus remarquable qui ait agité les catholiques depuis la révolution, fut l’abbé Félicité de La Mennais. Ses antécédens, sa philosophie, ses doctrines thé ocra-tiques semblaient l’y mal préparer ; mais il est des rôles pour lesquels on est plus fait par le caractère que par les idées. Personne, à cet égard, dans le clergé ou parmi les laïques, n’était plus propre à une telle initiative, plus capable de briser avec les erremens du passé, avec les traditions et les préjugés d’un clergé élevé dans le respect de la dynastie déchue et dans la défiance de la liberté. Aucune main ne pouvait avoir moins d’hésitation ou de scrupules à trancher des liens séculaires sans se laisser attendrir par la

  1. Montalembert, Avant-propos de ses œuvres, page 17.
  2. M. de Falloux, le Parti catholique, réimprimé dans le t. Ier de ses Discours et Mélanges politiques.