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à ce double article de foi du Credo révolutionnaire, si l’on en faisait l’unique base des revendications libérales, la révolution et la société qui en est sortie seraient en naturel antagonisme avec les doctrines de l’enseignement catholique, ou mieux avec tout le christianisme, avec toute religion. Ainsi entendue, la liberté, tout comme la révolution, mériterait de Joseph de Maistre d’être appelée satanique. Mais, sur le terrain même des principes, ne saurait-on découvrir aux libertés modernes, à la liberté politique notamment, d’autres fondemens rationnels ou d’autres origines historiques ? La liberté et l’égalité devant la loi sont-elles partout et nécessairement le fruit de ces orgueilleuses théories, de cette présomptueuse apothéose de la nature humaine qui, dans ses outrances et ses superstitions, ne répugne guère moins à la critique du philosophe qu’à la foi du théologien[1] ? L’ordre social actuel, encore si tristement imparfait et visiblement précaire, la société moderne, qui devrait peut-être nous inspirer autant d’humilité et d’inquiétude que d’orgueil, découlent-ils uniquement de ce que les philosophes appellent les faux principes et les théologiens les faux dogmes de la révolution ? Pour le croire, il faudrait oublier le jeu complexe des forces historiques, il faudrait ne voir, dans la longue et obscure évolution des sociétés, qu’un élément et qu’un facteur. Oserait-on soutenir que le christianisme y est demeuré entièrement étranger et interdire au croyant d’en revendiquer sa part pour sa foi ? Si notre société contemporaine, et cet ensemble confus de notions théoriques, de droits abstraits, d’habitudes, d’institutions que nous désignons sous le nom de société moderne, n’est pas tout entière sortie spontanément des entrailles du christianisme ; si la raison pure et le libre examen y ont eu une part considérable, prédominante même, le christianisme y a malgré tout eu la sienne, et les chrétiens ont le droit de la faire ressortir, le droit de montrer que, par certains côtés, cette société moderne reste un produit, un fruit du christianisme, une application imparfaite, dans les lois et dans les mœurs, des maximes du Christ et de l’idéal chrétien.

Placé en face des droits de l’homme, en face des principes de 1789, le catholique, le théologien, s’il n’en peut admettre toutes les déductions, est loin d’être obligé de les condamner en bloc ; il est maître d’y retrouver une part de christianisme et de la reprendre comme son bien ; maître de déterrer, sous les vagues et flasques formules révolutionnaires, l’empreinte effacée de l’évangile et de l’y vénérer[2]. Lors donc qu’on somme les catholiques de choisir

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1883, un Philosophe historien : M. Taine.
  2. Voyez, par exemple, le Christianisme et les Temps présens, par M. l’abbé Bougaud, t. IV, p. 407-410, et le dernier ouvrage de M, Maret, évêque de Sura.