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ment soulevées, tout reste nécessairement en souffrance. Les intérêts sérieux et permanens du pays subissent le contre-coup de ces agitations factices, le commerce et l’industrie se resserrent. Le gouvernement, au milieu des embarras qu’il s’est créés, ne se fortifie sûrement pas. Les pouvoirs publics se déconsidèrent par l’imprévoyance et la légèreté impuissante dont ils offrent le singulier spectacle. Les grandes affaires de la France engagées au loin se ressentent forcément de ce trouble futile et du discrédit qui en résulte pour tous ceux qui, au pouvoir ou dans les assemblées, participent à la direction de la politique nationale. Le pays, qu’on fait si souvent parler quand il ne dit rien, quand il ne demanderait qu’à être tranquille, le pays lui-même, atteint dans sa sécurité et dans ses intérêts, excédé et fatigué, finit par se demander ce qu’on veut faire de lui, ce que tout cela signifie. Tout souffre d’une politique de fantaisie et d’aventure qui se fait un jeu d’une agitation stérile, et c’est là, jusqu’à présent, la plus évidente, la plus saisissante moralité de cette expérience de la révision que M. le président du conseil inaugurait il y a quelque temps avec une si superbe assurance, qui continue encore à travers des péripéties toujours nouvelles.

Non décidément, cette révision constitutionnelle n’aura pas porté bonheur à M. le président du conseil. Dût-il réussir, comme cela n’est plus douteux aujourd’hui, à avoir son congrès à Versailles pour voter on ne sait plus quel projet, on ne sait plus trop quelle résolution, il n’aura pas gagné une grande victoire. Il aura livré une bataille qui n’aura été qu’un péril sans compensation, et les incidens qui se sont pressés dans ces derniers jours, qui sont comme les préliminaires du prochain congrès, ces incidens démontrent assez désormais que la révision ne répondait à aucune nécessité publique, qu’elle n’avait rien d’urgent ni de sérieux, qu’elle était, en un mot, une de ces affaires destinées à finir médiocrement parce qu’elles ont été mal engagées. C’est bien vainement que M. le président du conseil, après avoir avoué il y a quelque temps l’inattention et la froideur de l’opinion française pour la réforme de la constitution, s’est évertué l’autre jour à démontrer, au contraire, que le pays était plein de feu pour la révision, qu’il l’avait imposée à ses mandataires, sénateurs ou députés, qu’il s’y intéresse profondément. M. le président du conseil en est quitte pour une contradiction de plus. Le seul fait que, depuis deux ou trois semaines, on a pu discuter toutes ces questions au milieu d’une indifférence publique avérée, sans qu’il y ait eu même une apparence d’agitation eu d’émotion, ce seul fait prouve ce qu’il y a d’arbitraire et d’artificiel dans cette entreprise révisionniste.

Lorsque le pays, à tort ou à raison, s’attache réellement à une réforme, qu’il croit sérieuse, qui le touche dans ses sentimens ou dans ses intérêts, il est certes autrement animé. Il peut se tromper, il ne