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mécanique que les études sur la circulation avaient prise et conservée depuis le temps de Harvey jusqu’au nôtre. Avec Claude Bernard, avec l’entrée en scène des nerfs vaso-moteurs, le spectacle va changer.

Des différens départemens de l’appareil vasculaire si l’on demandait celui qui présente le plus d’importance, — c’est-à-dire pour lequel tous les autres sont faits, — il ne faudrait répondre ni par le cœur, ni par les artères, ni par les veines : il faudrait nommer le système capillaire. Le sang, en effet, est destiné à nourrir les parties, à les ravitailler de toutes les provisions qu’ils consomment, et à emporter leur déchets. Or il ne peut remplir ce rôle qu’au niveau des capillaires. Partout ailleurs l’épaisseur et l’imperméabilité des parois l’empêchent d’entrer en communication avec les élémens de l’organisme disposés autour des vaisseaux. Au contraire, le chevelu de ces petits vaisseaux est si fourni, leur nombre est tellement multiplié qu’il n’est, pour ainsi dire, pas d’élément anatomique qui ne soit en relation avec quelqu’un d’entre eux. L’anatomiste hollandais Ruysch, frappé du nombre immense de vaisseaux que ses injections faisaient apparaître dans les organes, put croire que les capillaires étaient les élémens mêmes de l’organisme. Cela revient à dire que le corps de l’animal serait un territoire si bien doté de voies de communication qu’il n’y aurait plus de place pour les champs et les cultures. Une erreur si singulière, commise à propos de ce réseau, doit, tout au moins, nous donner une idée de son extrême richesse. Ces vaisseaux si nombreux sont en même temps très minces, ils ont des parois si fines et si perméables, qu’elles permettent, sans rupture et sans solution de continuité, le passage des liquides par imbibition, ou osmose, des particules vivantes extérieures jusqu’au sang et du sang à chaque particule. Cet échange, c’est la nutrition, c’est le phénomène objectif de la vie.

On comprend d’après cela quel est le but de la circulation. Harvey raconte, dans sa seconde réponse à Riolan, que beaucoup d’anticirculateurs combattaient sa découverte parce qu’ils ne pouvaient concevoir à quoi eût servi une pareille fonction ; ils lui reprochaient de n’en pouvoir faire connaître ni les causes efficientes ni la cause finale. Aujourd’hui pareil embarras n’existe plus. On sait que la circulation n’est pas faite pour elle-même ; elle n’est pas, comme l’on disait autrefois, le caprice d’une nature artiste ; comme toutes les fonctions, elle a pour raison d’être unique de permettre la nutrition des élémens anatomiques, c’est-à-dire leurs échanges avec le milieu extérieur. Un élément anatomique situé loin du tube digestif où s’élaborent les liquides nourriciers, loin encore du poumon par où pénètre l’oxygène, le pabulum vitæ, et qui n’aurait point de