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artériel de couleur rouge vif ; Colombo dit tout cela : ce sang de retour, il l’appelle : « léger, beau, éclatant de couleur (floridus) ; » Servet l’appelle : jaune-ardent, vermeil (flavus), expression que M. Chéreau a tort de trouver plus inexacte que celle de Colombo. Sur les autres points, l’avantage reste décidément au maître italien : la cloison, par exemple, qu’il déclare absolument étanche, Servet la croit encore capable de laisser transsuder quelque chose : il ne la ferme pas entièrement.

Les contemporains et les successeurs de Realdo Colombo ne s’y sont pas trompés : « C’est moi, disait l’anatomiste de Crémone, qui ai fait cette découverte. Cela était facile à constater ; néanmoins personne avant moi ne l’a marqué par écrit : » les anatomistes de son temps ont dit comme lui. Dès 1556, Valverde lui attribuait nettement la doctrine de la circulation. Primerose de même, lorsque dans ses discussions avec Harvey, il reproche à l’anatomiste anglais de n’être que le copiste de Colombo, d’atténuer simplement ce que le Crémonais avait pensé. Mais Harvey lui-même, dont Flourens dit à tort qu’il ne cite personne, Harvey rend justice à Colombo. Il en parle plusieurs fois en le qualifiant de très savant et très habile, et lui accorde nettement la découverte de la circulation pulmonaire. Botal plus tard encore fait de même. A la fin du XVIIIe siècle, Haller et Baglivi reconnaissent, eux aussi, que Realdo Colombo a ouvert le premier le passage du sang par les poumons, et que le premier il a ainsi indiqué la circulation du sang.

C’est donc une iniquité manifeste de refuser à l’anatomiste de Crémone le mérite d’une découverte qui lui appartient et de le déposséder au profit d’un autre, fût-il aussi illustre et aussi cher à la mémoire de la postérité que Michel Servet. Et si maintenant nous cherchons les raisons de ce déni de justice, nous n’en trouverons toujours qu’une seule, toujours la même, cet argument brutal des dates. Le livre de Servet a paru en 1553. L’ouvrage de Colombo a paru en 1559, six ans après. On transporte ainsi à des temps qui ne la comportaient pas une jurisprudence qui est en vigueur de nos jours dans les procès de priorité : c’est la parole imprimée qui fait foi, et c’est la date de la publication qui décide. Au milieu du XVIe siècle, l’usage de l’imprimerie était moins ordinaire : les opinions des maîtres étaient répandues par leur enseignement, par les notes manuscrites de leurs élèves ; un professeur aussi connu que Colombo n’avait pas de précautions à prendre contre les plagiaires. L’opinion qu’il soutenait relativement à la circulation dans le poumon pouvait être combattue, et elle l’était en effet, mais ne pouvait lui être dérobée. Aussi, n’est-ce qu’à la fin de sa vie, et en quelque sorte pour couronner sa longue carrière, qu’il songea à