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effet, sous une forme très vague, les théologiens de Zurich ayant seuls exhorté les Genevois à user de sévérité. Henri Tollin compte ainsi onze exemplaires répandus dans toute la Suisse. Mais, d’un autre côté, un passage d’une lettre de Calvin à Farel, datée de la veille du supplice, dans lequel le réformateur mande à son ami que « le messager qu’on avait envoyé en Suisse est de retour, » pourrait faire supposer que c’était un seul et unique dossier qui avait été successivement transmis aux différens conseils. Des argumens de ce genre seraient capables de rapetisser le débat. Ce qui est certain, c’est que, ni dans ces temps-là, ni dans le nôtre, on ne pourrait voir l’ensemble de tous les savans, hommes de vérité et de libre discussion, concerter entre eux une sorte de conspiration du silence comme celle dont aurait été victime Michel Servet. Tandis que tous les anatomistes, partisans ou adversaires, parlent de Realdo Colombo, quelques-uns avec une extrême âpreté, pourquoi se tairaient-ils à propos de Michel Servet ? Si pas un ne semble le connaître, c’est qu’en réalité pas un ne le connaît. Ce n’est pas du malheureux Espagnol qu’aucun d’eux a rien appris.

Il faut attendre près de cent cinquante ans pour qu’en 1697, un érudit anglais, Wotton, exhume du chaos où il était enseveli ce passage célèbre et essaie d’attribuer à Servet la découverte de la petite circulation. La sympathie universelle qu’avait provoquée l’injuste supplice de Servet, l’admiration pour la constance et le courage dont fit preuve ce martyr de l’intolérance, ont aidé la légende à s’établir ; mais elle a contre elle des raisons intimes et pour ainsi dire psychologiques. Il n’y aurait pas d’autre exemple dans l’histoire qu’un esprit de cette trempe, imbu de chimères, entiché de scolastique et de théorie, sans recherches approfondies, eût fait, d’un air indifférent et comme en se jouant, l’une de ces découvertes qui sont le salaire d’une longue patience et du véritable génie expérimental. Non ; cette doctrine qu’il n’a pas transmise, il l’a reçue, au contraire, il l’a tenue des étudians italiens, dans la familiarité de qui il vivait à Paris, à moins que lui-même ne soit allé la chercher à la source même, c’est-à-dire au pied de la chaire de Realdo Colombo. L’historien de la médecine espagnole, Morejon, admet la réalité de ce stage de Servet à l’école de Padoue. Vainement le critique allemand Tollin se fonde sur ce que les registres de l’université ne mentionnent aucun acte en son nom pour prétendre que Servet n’est jamais retourné à Padoue. Mais les registres de la faculté de Paris ne signalent non plus aucun acte probatoire au nom de Servet. Il n’y prit aucun grade, et cependant nous avons eu, par le témoignage de ses maîtres et du doyen Tagault, des preuves de son séjour et de sa turbulence.

Si, comme tant de raisons nous obligent à le croire, Michel