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reçu des historiens de la médecine le nom très honorable de « père de l’anatomie moderne, » dans la première édition de son Traité d’anatomie, publiée en 1543, reproduit l’erreur de Galien. Et lorsque, douze ans plus tard, l’erreur eut été connue et redressée par d’autres, Vesale, ce savant déjà célèbre à vingt-cinq ans, que le sénat de Venise sollicitait d’accepter une chaire à l’école de Padoue, ce novateur hardi ne trouve rien de mieux, pour justifier son ignorance, que de dire qu’il avait jadis dissimulé la vérité « afin de s’accommoder aux dogmes de Galien. »

Ce n’est plus, comme on le voit, un simple problème d’anatomie qui va se décider. La question s’élève singulièrement et présente une importance qui la recommande à tous ceux qu’intéresse l’histoire des progrès de l’esprit humain. On touche à un moment critique dans le développement des sciences. L’esprit nouveau, l’esprit de libre examen, la méthode expérimentale naissante se trouvent en présence de l’esprit scolastique et traditionnel, de la méthode des commentateurs.

Tout le moyen âge a vécu dans l’idolâtrie d’Aristote et de Galien, et cette idolâtrie était telle que l’évidence du fait ne pouvait prévaloir contre elle. Rien de ce qu’avait dit Galien en anatomie n’avait encore été contredit, et pourtant, depuis longtemps, en Italie, on avait étudié sur le cadavre de l’homme la structure des organes. Dès le XIIIe siècle, Frédéric II, empereur d’Allemagne et roi des Romains, le fondateur de l’université de Naples, le restaurateur des écoles de Padoue, de Bologne et de Salerne, avait édicté des règlemens qui obligeaient quiconque voulait devenir médecin à disséquer pendant deux années. Si peu que ces sages prescriptions eussent été suivies, cela suffisait pour ébranler la foi aveugle dans la parole du maître. Et cependant, devant les démentis de l’expérience, les plus sages, comme Bérenger de Carpi, et plus tard Vesale, accusaient l’imperfection de leurs sens, et les plus téméraires ne reculaient pas devant l’absurde déclaration que la structure du corps humain avait pu changer depuis le temps où le célèbre médecin de Marc Aurèle avait écrit son livre.

Ce vasselage traditionnel va être rompu. Il ne s’agira plus de commenter Aristote ou Galien et de pénétrer le sens de leurs paroles : il faudra envisager la nature en face. Et la première victoire de l’esprit de libre examen eut précisément pour terrain cette question minime en apparence de savoir si la cloison qui sépare les cavités gauche et droite du cœur est réellement percée. D’où souffle ce vent de libre examen ? De tous les points de l’horizon sans doute, mais nous n’avons pas à le dire : nous n’avons ici qu’à en signaler la première manifestation dans le domaine des sciences anatomiques. Quels ont donc été les premiers ouvriers de