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D’ailleurs, lors même qu’on écarterait du débat cet important préambule et qu’on se réduirait à la considération de la circulation générale, qui passe pour l’œuvre propre de Harvey, on verrait que là encore il a eu bien des auxiliaires. Pendant ses voyages en Italie, durant sa fréquentation de quatre années à l’école célèbre de Padoue, il avait appris dans les écrits de Realdo Colombo, de Césalpin, d’André Vesale et de Fallope, et il avait entendu de la bouche même de Fabrice d’Acquapendente, son maître direct, tout ce qu’il était nécessaire de savoir pour conclure, comme il a fait, au mouvement circulaire du sang. À la vérité, cette histoire est celle de la plupart des découvertes. Bien rares sont celles qui ont jailli de toutes pièces du cerveau d’un seul homme, comme Minerve du front de Jupiter. Et c’est pourquoi Flourens, Ch. Richet et tous les biographes de Harvey déclarent que la gloire de ce grand homme ne se trouve pas beaucoup diminuée par le mérite de ses maîtres et de ses inspirateurs.

Quoi qu’il en soit, un point au moins échappe à toute contestation, c’est que l’histoire de la circulation du sang ne commence pas à Harvey : nous devons ajouter qu’elle ne finit pas non plus à lui, et, de même que le célèbre anatomiste a eu des prédécesseurs, il a eu aussi des successeurs. Nous entendons dire par là que la découverte des circulations locales, due à Claude Bernard et complétée par les physiologistes contemporains, est aussi essentielle à l’intelligence des mécanismes circulatoires que celles de Realdo Colombo et de Harvey. Ce sont des progrès de même ordre et qu’il est permis de mettre en balance les uns avec les autres. En d’autres termes, la découverte de Harvey marque une sorte de crise célèbre dans la lente évolution de nos connaissances relatives à la circulation et cette crise se place entre deux autres, l’une qui l’a préparée, l’autre qui l’a complétée. De ces trois époques que l’on peut distinguer dans l’histoire de la circulation, c’est surtout la dernière que nous nous proposons de raconter. Cependant des documens nouveaux, des discussions récentes nous obligent à reprendre avec quelques développement l’histoire de la circulation pulmonaire et de la circulation générale.


I. — LA CIRCULATION PULMONAIRE.

Il est facile d’expliquer la circulation pulmonaire, et, de fait, dans nos collèges, on l’explique à d’assez jeunes enfans ; mais il est bien plus malaisé de comprendre l’idée que l’on s’en formait depuis l’antiquité jusqu’à la renaissance. Les anciens connaissaient, à la vérité-, les relations anatomiques du cœur avec les poumons ; ils savaient que les deux organes sont reliés par deux systèmes de