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du tunnel du Saint-Gothard. L’altitude maximum du tunnel est, vers le milieu, de 1,155 mètres, de 1,100 à Gœschenen et de 1,145 à Airolo. La rampe, jusqu’au-delà du milieu du tunnel, n’atteint pas 6 millièmes.

Le tunnel a été exécuté à l’aide de machines perforatrices perfectionnées, mues par l’air comprimé obtenu au moyen de presses hydrauliques. Du côté de Gœschenen, la Reuss, du côté d’Airolo, le Tessin ont fourni en abondance l’eau qui était nécessaire. Ici, comme partout, on a eu à surmonter des difficultés de toute nature. Les roches traversées ont été d’une dureté exceptionnelle, des granités, des chlorites, des micaschistes, des gneiss, compacts, résistans, émoussant l’acier ; puis des éboulemens subits, ou des éruptions instantanées de sources volumineuses, de véritables fleuves souterrains. On a vaincu tous ces obstacles. Du 29 février 1880 au commencement de décembre 1881, aucune locomotive n’a pu parcourir le tunnel. On a employé tout ce temps à le mettre en complet état. Vers la fin du mois de décembre, une locomotive a été lancée pour la première fois dans le tunnel, et ensuite quelques trains de marchandises et de voyageurs. L’inauguration solennelle n’a eu lieu qu’à la fin de mai 1882, et le 1er juin suivant, le service régulier a commencé.

L’entrepreneur chargé de l’exécution du tunnel, M. Favre, de Genève, ne faillit pas une minute à sa délicate et périlleuse mission. Nous l’avons connu à Paris, en 1879, où M. de Lesseps l’avait appelé dans le congrès international où se discutait le percement de l’isthme américain. Quelques semaines après, M. Favre est mort sur son champ de bataille, dans le tunnel, le 20 juillet 1879, comme il visitait les chantiers. On a attribué cette mort à un coup de sang, résultat de longues fatigues dans un milieu souvent méphitique, chargé d’humidité et brûlant. La température, au milieu du tunnel, s’est élevée à 32 degrés centigrades ou 2 degrés de plus qu’au Mont-Cenis ; on a même noté 35 et 37 degrés. L’anémie a abattu les mineurs ; d’autres affections les ont décimés : des gastrites bilieuses, la perte de l’appétit, une soif inextinguible, la maigreur, la pâleur, les pulsations du pouls atteignant le chiffre de 130 ; cent cinquante ouvriers sont morts dans le cours des travaux, atteints par des explosions de mines, des éboulemens, ou surpris par des inondations souterraines ; enfin, quatre cents ouvriers ont été blessés dans ces cas ou autrement. Ils ont tous été soignés à l’hôpital de la compagnie.

Le coût du tunnel du Saint-Gothard et du chemin de fer qui y accède a dépassé de beaucoup les prévisions des ingénieurs. Il s’élève à 227 millions, ce qui, pour une ligne qui mesure en tout 250 kilomètres avec ses embranchemens, équivaut à 908,000 francs