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Prussiens, de la rendre à de bonnes conditions. C’est à quoi s’employa Kalkreuth dans la conférence qu’il eut le 11 octobre avec Dillon et Galbaud. L’Autriche fit les frais de la conciliation. « Vous n’ignorez pas, dit le général Dillon, que, de tout temps, la nation française a estimé les Prussiens, qu’elle a toujours blâmé le monstrueux traité de 1756… Puissent les deux nations, connaissant mieux leurs intérêts, se réunir contre leur ennemi commun ! — Croyez, repartit Kalkreuth, qu’il ne dépendra pas de moi que cet heureux événement n’arrive promptement. Je n’ai point été consulté sur la guerre présente ; je la trouve aussi impolitique, de la part du roi, que celle de 1756, de la part de Louis XV. » Dillon insista pour que la Prusse se séparât de l’Autriche. « J’espère, dit-il à Kalkreuth en prenant congé, que la campagne prochaine ne s’ouvrira pas sans que la France et la Prusse soient réunies, que vous nous aiderez à affranchir les Pays-Bas. Rappelez au roi de Prusse qu’il ne saurait avoir une plus belle alliance que celle d’un peuple libre. — Reposez-vous sur moi, répondit Kalkreuth ; croyez que personne n’apprécie mieux les avantages communs d’une telle alliance. Puissé-je aller moi-même à Paris la négocier ! Sûr de la loyauté française, les affaires ne seront pas longues à terminer. » Celle de la reddition de Verdun avait été vite conclue. Les Prussiens évacuèrent la place le 12 octobre sans être inquiétés, et Dillon y entra.

A mesure que l’armée alliée avançait vers la frontière, la retraite tournait à la déroute. Les Prussiens en étaient réduits à dépecer les chevaux morts. Les chariots embourbés restaient dans les ornières. Il fallait encore gagner du temps, et Kalkreuth fut chargé de négocier un nouvel armistice. Le 14 octobre, il eut une entrevue avec Kellermann et Dillon. « Si la guerre continue, dit Kellermann à l’un des officiers qui accompagnaient le général prussien, on veut absolument rendre libres les Pays-Bas autrichiens. On sait en France que vous visez à un second partage de la Pologne ; la France verrait avec plaisir augmenter par là les forces d’une puissance qui doit tôt ou tard être son alliée. » C’était toucher les Prussiens à l’endroit sensible. Lucchesini, qui affectait de blâmer « ces négociations insidieuses, » était forcé de reconnaître que la tactique des Français avait porté ses conséquences. Les Autrichiens s’en inquiétaient, et les Prussiens, de leur côté, découvraient chaque jour de nouveaux motifs de se méfier de leurs alliés. Les généraux français allaient trop vite en besogne quand ils croyaient possible de les séparer immédiatement et d’amener le roi de Prusse à se faire républicain ; mais le fait est que les relations des deux cours étaient fort loin d’être cordiales, que ces alliés en étaient à la suspicion légitime, et que, tout éloignés qu’ils fussent encore de la