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espéré de moi ; dans ce moment, je suis tout-puissant… Tout va bien : les Prussiens se séparent d’avec les Autrichiens ; toutes leurs armées sont en déroute… La république sera établie malgré l’univers. » Les commissaires de la convention l’envoyèrent porter ces bonnes nouvelles au conseil exécutif. Il partit le 3 octobre. La manœuvre des Prussiens avait réussi. Il était maintenant trop tard pour leur couper la retraite.

Dès qu’on leur avait laissé franchir les défilés, l’occasion était perdue de les écraser. Les difficultés de la marche étaient les mêmes pour les Français que pour l’ennemi, et les Français, moins aguerris, moins fortement encadrés, en auraient peut-être été plus ébranlés encore. « Le temps et les chemins sont détestables, écrivait Dumouriez, le 6 octobre, au ministre de la guerre ; nous n’avons ni vivres ni fourrages, et nous finirions par nous mettre aussi mal qu’eux si nous suivions leur marche avec plus d’acharnement que de prudence. » Il revint alors à son plan primitif, qu’il n’avait jamais abandonné. Il résolut de marcher sur la Flandre avec 30,000 hommes, de débloquer Lille et d’entrer en Belgique, tandis que Kellermann, avec 50,000 hommes, contiendrait les Prussiens, menacerait leur retraite, appuierait les mouvemens de Custine sur le Rhin, et que Montesquiou envahirait la Savoie. Au cours de ces combats, on continuerait les négociations. « C’est ainsi, écrivait Dumouriez à Biron[1], que nous pourrons travailler en grand… J’espère que je finirai par faire préférer au roi de Prusse l’alliance de la France à celle de la dangereuse et perfide Autriche. Je charge Kellermann d’achever sa conversion à coups de canon… Je fais filer 30,000 hommes pour aller délivrer le département du Nord ; j’y marche à leur tête, et vous jugez d’avance, mon ami, que je ne compte pas m’en tenir là et que j’espère passer mon carnaval à Bruxelles. C’est la seule récompense que je demande pour avoir sauvé la patrie. » Tout alors se pliait à ses vues. Il reçut une lettre de Lebrun, datée du 7 octobre, remplie de promesses ; il n’y aurait point de récompenses trop éclatantes pour ses services ; le commandement en chef de l’expédition de Belgique lui était assuré : « C’est une véritable jouissance pour moi d’être encore l’organe du conseil pour vous transmettre une autorité exclusive et une confiance sans bornes. » Toutefois il restait à régler les détails d’exécution et à combiner l’expédition de Belgique avec l’offensive générale sur le Rhin et sur les Alpes. Dumouriez jugea nécessaire de donner de sa personne ; il partit pour Paris.

Cependant l’armée prussienne, « hôpital ambulant traînant une

  1. 6 octobre 1792.