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soi les restrictions mentales ; manifestes et discours s’adressaient à la galerie, et la galerie, qui les prenait à la lettre, n’y voyait que les mépris, les menaces, les gros mots et les provocations. La lecture du rapport fut suivie de celle de l’arrêté. L’un et l’autre furent accueillis par des applaudissemens. Lebrun déclara en terminant que désormais la politique a serait aussi franche que peu compliquée, » et qu’il n’y aurait plus lieu de recourir « à cette diplomatie qui n’était que l’art de la dissimulation, de la perfidie, de l’imposture, et de la tromperie. » Cela fait, il rentra dans son ministère et signa les instructions destinées au négociateur qu’il envoyait à l’un de ces potentats qu’il venait de flétrir et dont il repoussait si superbement les avances.

Considérant les Points posés par Manstein, Lebrun répondait que Louis XVI ne représentait plus la France et que l’on ne pouvait le mettre en liberté. « Il sera jugé, et la nation ne souffrira point qu’aucun étranger vienne influer sur sa justice ou sur sa clémence[1]. » C’était donc avec le conseil exécutif qu’il convenait désormais d’entrer en négociations. Sur le second point, la propagande, il s’expliquait nettement : il la répudiait. C’était une calomnie des émigrés. La propagande n’avait jamais reçu ni organisation ni autorisation. « La nation française crut toujours que le livre éternel de la nature et de la raison était une propagande infaillible et plus puissante que ses orateurs et ses pamphlets. C’est donc sur la raison, sur les intérêts bien entendus des princes, plutôt que dans l’exaltation même de ses sentimens de bienveillance universelle qu’elle s’est reposée du bonheur de l’humanité. Elle ne souffrira jamais qu’on s’autorise de son nom et de sa puissance pour porter le trouble dans les états de ses alliés. » La Prusse pourrait être un de ces alliés : le sort de Louis XVI n’importe point à son bonheur. « Si le roi de Prusse renonçait à une guerre désastreuse,.. ses propositions seraient écoutées avec intérêt, et l’alliance des deux nations deviendrait possible ; » mais il y aurait un préliminaire indispensable, ce serait la retraite des Prussiens en territoire neutre. « Dans cette hypothèse, l’alliance ne tarderait pas à être promise, on s’occuperait promptement d’en régler les bases. » Ces dispositions ne s’appliquaient qu’à la Prusse : l’Autriche en était exclue ; la France ne poserait les armes qu’après s’être vengée de la cour de Vienne. Ce qui suivait était d’une nature extrêmement délicate et montrait dans quelle mesure le conseil exécutif, tout en conservant encore pour lui-même les principes de la révolution, était déjà disposé, dans ses transactions avec les états de la vieille

  1. Lebrun à Dumouriez, 26 septembre 1792.