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sur une question de parricide dont il avait compliqué sa fable. Il serait puéril de lui imputer une apologie du tyrannicide ou une excuse du parricide ; mais les jugemens du public ne se règlent pas sur des considérations purement littéraires ; la plupart s’intéressent à l’action dramatique comme à un de ces événemens de la vie réelle que les journaux se plaisent à raconter et à grossir, et pour lesquels on a inventé le nom de « nouvelles à sensation ; » ils prennent parti pour ou contre les personnages d’un drame, comme ils feraient dans un procès criminel à l’égard des accusés, des victimes, ou des témoins. Le public populaire injurie « le traître, » comme il applaudit « le personnage sympathique, » non pour l’art avec lequel le poète ou l’acteur l’ont représenté, mais pour lui-même, pour ses sentimens et pour ses actes. Le public bourgeois a plus de retenue, mais sa manière de juger et de sentir est du même ordre, et la pièce sera appréciée, dans les conversations des loges et des salons, à un point de vue peu différent de celui des manifestations naïves qui se produisent bruyamment aux étages supérieurs du théâtre. Ce n’est donc pas un problème littéraire, c’est un problème de morale qui est en jeu dans les opinions émises au sujet d’un drame tel que celui de M. Coppée. Nous avons noté particulièrement les sentimens qui se sont fait jour devant nous dans des milieux conservateurs. Ils ne diffèrent en rien, sauf peut-être dans l’expression, de ceux qu’on s’attendrait à trouver dans des milieux révolutionnaires. Nous avons entendu des femmes, des chrétiennes, très attachées à toutes les bases morales et religieuses de l’ordre social, exprimer hautement leur étonnement et leur indignation, non de la tentative de parricide, non de l’assassinat et du suicide commis dans une église, non de la complicité d’un moine dans le meurtre et dans le sacrilège, mais des hésitations de Severo Torelli et des scrupules de sa mère. Et ce n’est pas seulement à propos d’une œuvre d’imagination qu’on pourrait constater un pareil désordre des consciences, c’est à propos de faits réels, où un intérêt de parti ou parfois même une simple question de sentiment est en cause. Qu’on se rappelle, pour ne pas évoquer des souvenirs trop près de nous, dans le temps ou dans l’espace, la faveur dont le monde aristocratique et religieux de la restauration couvrait les crimes les moins excusables de la « terreur blanche » et, à notre époque même, en Irlande, la complicité morale de tout un peuple, très attaché à sa foi religieuse, dans d’horribles attentats. Sur l’assassinat politique, comme sur le droit d’insurrection, comme sur la plupart des questions de morale publique, on ne saurait se dissimuler que les principes sont peu de chose et que les opinions ne s’inspirent le phis souvent que des sympathies ou des