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devant compromettre l’approvisionnement des villes, elle a demandé, il y a une dizaine d’années, à préparer des magasins contenant vingt jours de vivres pour les habitans. L’opposition des ministres des finances et de l’intérieur fit rejeter la mesure. Il serait difficile de trouver un exemple plus sensible des exagérations où on se laisse entraîner lorsqu’on suit une fausse voie.

Il est grand temps d’adopter une ligne de conduite plus rationnelle, d’arrêter des dépenses excessives et insuffisamment justifiées. A la guerre comme dans l’industrie, il faut viser à produire les plus grands résultats avec la moindre dépense de forces possible et l’on peut y parvenir par un meilleur emploi de celles que l’on met en usage. Il faut supprimer les rouages mal graissés, les accessoires peu utiles, simplifier la mobilisation, rendre les corps d’armée plus libres dans leurs mouvemens et indépendans du commandement territorial. Peut-être sera-t-on amené à ne pas leur donner à tous la même importance, une organisation tout à fait pareille. La suppression des compagnies de dépôt et des quatrièmes bataillons simplifierait la comptabilité des corps. Le volontariat tel qu’il existe n’est bon ni pour l’armée ni pour les intérêts civils, dont on doit tenir compte. Il faut chercher autre chose pour donner satisfaction à l’une et aux autres. Le moyen paraît facile à trouver, si l’on veut bien admettre en principe que chacun doit servir le pays, non de la même manière, mais de celle qui est le plus utile au pays et la plus conforme à ses talens ou à ses aptitudes.

Quelque convaincu qu’on soit de l’utilité de ces changemens, il importe de ne pas les brusquer. L’armée n’a que trop souffert de l’état d’instabilité où elle se trouve depuis quatorze ans et il ne faut pas imiter la malheureuse précipitation que l’on a mise en 1872 à bouleverser toutes nos institutions militaires. Améliorer n’est pas détruire. Sans être bien satisfaisante, notre organisation actuelle peut fonctionner et l’on aurait très grand tort de vouloir la bouleverser de fond en comble. On peut d’abord fortifier les cadres inférieurs, s’attacher à former des pointeurs, des artificiers très exercés ; réduire l’effectif des compagnies de dépôt au profit des compagnies actives ; préparer des états-majors d’armée, sans modifier en rien ce qui existe. Ce seront des améliorations de détail que chacun accueillera avec plaisir. Les autres viendront avec une grande facilité, quand tout le monde aura la conviction qu’elles sont opportunes et nécessaires. C’est la marche sûre et méthodique qu’il faut suivre pour faire une œuvre de durée. Le temps ne respecte pas ce que l’on fait sans lui.


Gal COSSERON DE VILLENOISY.