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des chevaux, des voitures, des rations employées en pure perte par l’état ; la dissémination de beaucoup de soldats d’ordonnance, qui, faute de chefs, accroîtront l’armée des fricoteurs.

Mais là n’est pas le plus grand mal. Les bagages, les convois, les impedimenta de tout genre formeront une masse plus considérable que l’armée combattante, et dans laquelle celle-ci se perdra au premier mouvement de retraite, à la moindre évolution exigeant une marche rétrograde. Noyer les corps d’armée dans leurs propres bagages, c’est le danger le plus grand qui puisse se présenter au début d’une campagne et ce serait un désastre complet. Il faut donc à tout prix alléger les troupes actives, ne leur faire emporter que les objets les plus indispensables et pourvoir à tous les rem-placemens au moyen de magasins abrités derrière les remparts des places fortes qui se trouveront à proximité. Avec tout ce que l’on a la prétention de traîner avec l’armée ou à sa suite, aucune manœuvre n’est possible ; la mobilisation elle-même se trouve compromise.

Une diminution considérable du nombre des voitures attachées aux corps de troupes ne rendra pas seulement l’armée plus leste, ses mouvemens plus faciles ; elle profitera surtout à la mobilisation, qui est une œuvre beaucoup trop compliquée. Le matériel exige une préparation bien plus longue que les hommes. Plus on a de voitures, plus on a de chevaux à réquisitionner, de harnachemens, de selles à ajuster pendant la période critique, plus il faut de bâtimens pour les conserver et de personnel pour les entretenir pendant la paix. On ne peut, à moins de l’avoir expérimenté soi-même, se faire une idée de l’énormité de tous ces approvisionnemens. On n’imagine pas à quelles exagérations a pu conduire la superstition de l’uniformité et l’application pharisaïque des règles ; chose très commode du reste, car elle dispense de réfléchir et affranchit de toute responsabilité. De même qu’on a voulu rendre tous les corps d’armée semblables, on a voulu les doter tous des mêmes impedimenta, bien qu’ils fussent placés dans des situations différentes. On a pris pour chacun d’eux les mêmes précautions, ce qui a conduit quelquefois à des résultats puérils ou grotesques. Les places fortes ont été rangées en deux catégories seulement, dont chacune a dû recevoir les mêmes approvisionnemens de vivres et de munitions, lors même qu’on aurait pu se les procurer sans difficulté sur place. On pourrait donner de tout cela des exemples singuliers et frappans, mais cela ne serait pas sans inconvéniens. Les bureaux de la guerre se sont inquiétés des conséquences qui pourraient en résulter pour la population civile. L’affectation des chemins de fer à l’usage exclusif de l’armée au moment d’une mobilisation