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théâtre, ni « concourir avec les lois pour nous faire aimer la vertu et haïr le vice. » Il ne cherche pas à donner un modèle du genre nouveau, honnête et sensible, une comédie sérieuse, ni une tragédie bourgeoise, ni rien d’édifiant et de larmoyant. Ce n’est point ici une de ces productions mémorables pour lesquelles il se guinde sur le trépied et « bouillonne comme l’eau thermale qui sort des volcans. » Ce n’est qu’une bagatelle, un amusement de société, fait pour le plaisir de fauteur et de quelques intimes : à peine s’il en parlera une fois dans son Paradoxe sur le comédien, et seulement pour rappeler la manière dont il y tenait son rôle ; nulle part ailleurs il n’en souffle mot ; personne des contemporains, sinon un Allemand, Méister, ne parait en avoir connaissance : il y a loin, en effet, de ce modeste ouvrage au Père de famille, qui remplit de son importance plusieurs lettres de l’auteur, plusieurs de ses essais, tant de controverses entre ses partisans et ses détracteurs, — et la Dramaturgie de Hambourg !

Un jour, Diderot a jeté sur le papier le Plan d’un divertissement domestique : une suite de scènes indiquées en quelques lignes, décousues, qui seraient mêlées de couplets et de danses et serviraient, comme l’étiquette l’annonce, de passe-temps à une réunion d’amis : ce serait une charade ou plutôt une parade. Sur ce canevas pourtant une idée comique était marquée. Le chevalier veut obtenir pour Mme de ***, veuve d’un officier de marine, une pension réversible sur la tête de son enfant ; que fait-il ? Parlant au premier commis, il se donne pour le père de l’enfant. Mme de ***, enchantée du succès, remercie le premier commis et lui présente son fils ; le premier commis « fait l’horoscope de ce fils d’après le père qu’il lui croit ; » la mère demande si ce digne homme n’a pas « une fibre dérangée dans la tête ; » le chevalier, alors, déclare le moyen dont il a usé : indignation de la mère.

L’origine de cette idée ? Une aventure de Diderot, de ce Diderot qui disait ingénument : « On ne me vole point ma vie, je la donne, » toujours engagé, souvent fourvoyé dans l’entreprise de quelque service à rendre, et dévoré par les inconnus presque autant que par ses amis. Entre combien de bons offices, pour peu que l’on feuillette sa correspondance ou l’histoire de sa vie, ne le voit-on pas partagé ! Le souvenir de celui-ci est conservé dans une lettre à Mlle Volland : « M. Rodier paraît aussi fâché que moi de prolonger à mes dépens la petite pension de cet enfant que j’ai fait à une femme que je n’ai jamais vue, par l’opération du Saint-Esprit ; » dans une seconde lettre il nomme cette femme : une madame Du Bois. La chose était assez plaisante pour qu’il la mît, cinq ans après, dans le Plan d’un divertissement. C’est tout ce qu’il garda de ce plan lorsqu’il écrivit, en effet, pour Mme de M… (sans doute Mme de Meaux) le divertissement désigné sous ce titre : la Pièce et le Prologue. « Cette pièce est l’ouvrage d’un jour, dit-il dans la dédicace ; on a mis à la composer moins de temps qu’à la transcrire. » A