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techniques, qui, du reste, eurent une heureuse influence sur ses opéras. Si dépréciée que soit aujourd’hui sa méthode harmonique, on ne peut nier qu’elle eut du retentissement en Europe, et qu’elle ait servi aux progrès de la musique. Mais c’est dans ses œuvres d’imagination qu’il faut chercher le maître et le réformateur. On sait qu’il n’aborda la tragédie lyrique qu’après de longues épreuves, des études préparatoires dont quelques-unes, comme ses compositions pour clavecin, seront toujours tenues pour des modèles de grâce et de fantaisie. Son idéal était dès lors bien arrêté. Comme il l’avouait plus tard à propos des Indes galantes ; « toujours occupé de la belle déclamation et du beau tour de chant qui règnent dans le récitatif du grand Lully, il tâchait de l’imiter, non en copiste servile, mais en prenant comme lui la simple et belle nature pour modèle. » On chercherait donc en vain dans son premier opéra les tâtonnemens remarqués dans Lully. À ce titre, Hippolyte et Aride marque le commencement d’une ère musicale nouvelle. Les lullistes eux-mêmes, voyant que la tradition était respectée, se rangèrent du parti nouveau ; ils avouèrent enfin que la musique avait le droit de reculer ses horizons ; et bon nombre d’entre eux durent admettre ce que plus tard d’Alembert écrivait à Rameau : « J’ose croire que l’art ira peut-être plus loin que vous ne pensez. L’expérience m’a rendu circonspect sur les assertions en matière de musique. Avant d’avoir entendu vos opéras, je ne croyais pas qu’on pût aller au-delà de Lully et de Campra. » La pensée n’était pas indigne d’un philosophe ; et ce n’est pas en musique seulement que l’avenir l’a plus d’une fois confirmée.

Cependant, si l’école de Lully ne devait pas subir d’atteinte dans son principe, elle devait changer dans ses moyens. Quelles étaient les ressources nouvelles apportées par Rameau ? Laissons la parole à un critique musicien, qui fut le premier de nos jours à lui rendre justice : « Les continuateurs de Lully, dit Adolphe Adam, avaient suivi presque pas à pas les traces du grand musicien que l’on regardait alors comme un modèle qui ne devait jamais être surpassé. Ils écrivaient pour les voix et disposaient les instrumens exactement comme l’avait fait Lully quarante ans avant eux. C’était la même coupe pour les ouvertures, les récits de scène, et les airs de danse. Rameau vint changer presque tout. Son récitatif était moins simple et plus surchargé de dissonances, ses airs étaient plus accusés, ses rythmes variés et presque tous nouveaux. Aux mouvemens presque toujours lents il en substituait de vifs et d’animés, et, ce qui étonnait surtout, c’était la nouveauté et l’imprévu de la modulation, la force de l’harmonie et les combinaisons de l’instrumentation. Chez Lully, comme chez ses successeurs, presque toute la partition était écrite pour les instrumens à cordes et à cinq parties. Les instrumens à