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dans l’Armide de Gluck, inspirée, comme celle de Lully, des vers de Quinault.

Rien ne diffère dans la façon dont les deux musiciens ont compris cette scène ; tous les deux ont prêté à leurs héros le même caractère. Les moyens employés par Lully sont toujours simples. Dès ses premières paroles, Armide se trahit tout entière. Elle apparaît avec sa nature violente et fière, alors que celle de Gluck, par un admirable calcul du maître, est encore indécise et paraît douter d’elle-même. Sans demander secours au moindre artifice de métier, Lully s’exprime d’abord dans un style large, plein de noblesse, pour aboutir graduellement à un merveilleux effet de puissance. Son Armide est bien la reine sûre de son cœur comme de son pouvoir. Celle de Gluck, au contraire, hésite, comme si les paroles de son père lui étaient nouvelles et ne pouvaient compter sur une réponse facile. Et c’est ici que, derrière le grand musicien, se retrouve le psychologue incomparable qui livre tout à l’analyse, et qui veut soumettre celui qui l’écoute en lui arrachant à lui-même le secret de son cœur. Avant de se prononcer, Armide hésite longuement et, après chaque vers, suspend sa pensée. Cinq fois, avant ses dernières paroles, elle s’arrête et se tait pour songer à l’importance de son aveu. Enfin, comme si elle prenait tout à coup son parti, elle découvre son âme tout entière, et l’on sent déjà qu’elle va faiblir. Ce qui peut-être la rend supérieure à celle de Lully, c’est que cette reine inflexible et hautaine trahit à chaque instant une immense tendresse.

Nous pourrions encore établir d’autres comparaisons entre ces deux Armide, ne fût-ce que pour montrer l’influence que Lully a exercée sur Gluck. Nous laissons au lecteur le plaisir de ces découvertes. Qu’on jette un coup d’œil sur l’Invocation aux esprits de l’enfer. Dans Lully, c’est Hidraot, le père d’Armide, qui commence son appel terrible ; Armide reprend après lui. Gluck semble avoir compris l’illogisme de ce procédé ; aussi a-t-il interverti les rôles, puisque Armide seule est ici partie intéressée. C’est donc elle qui, la première, évoque les esprits, et, si le vieillard répond, ce n’est que pour donner plus de force aux accents de sa fille. Certes cette invocation est encore une des pages immortelles du maître allemand, sans compter l’inconcevable puissance de l’orchestration. Mais cela n’empêche pas d’admirer Lully et de déclarer que si, dans ce duo, Gluck reste supérieur par le mouvement et la variété, Lully ne lui cède en rien par l’inspiration.

Nous ne parlerons pas des autres œuvres de Lully. Presque toutes méritent intérêt. On y trouvera les mêmes qualités de style et le même souci de l’expression, et l’on se demandera certainement s’il n’est pas regrettable que cette haute déclamation lyrique soit à