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des singes, des familles de grands singes, d’orangs au poil fauve. Un coup de fusil en l’air, plus personne ; tous cachés, disparus.

La Montagne-de-Marbre est verticale partout.

— Lee-Loo, où est cette grande pagode? Lee-Loo sourit : « Tu vas voir! » Je ne vois que la montagne sauvage, les aiguilles de marbre, et la verdure suspendue.

Lee-Loo, vert et orange, dit qu’il faut monter, et passe devant. En effet, il y a un grand escalier de marbre, taillé dans la roche vive; les décombres et le sable en cachaient l’entrée. — Nous montons, et on dirait des jardins enchantés. — Et je commence à comprendre que c’est la montagne elle-même qui est la pagode, la plus merveilleuse des pagodes d’Annam. Dans toutes les crevasses, dans tous les trous du marbre, il y a des fougères fines, des palmiers rares, des pandanus, des plantes frêles et exquises de serre. Et des fleurs ! — des orchidées blanches, des amaryllis rouges et orangées, et puis des profusions, d’épais tapis de ces pervenches-du-Cap qui sont d’un rose suave avec le cœur rouge de pêcher.

Toujours des marches et des marches, l’escalier de marbre, bordé de rampes et de balustres, monte au milieu du jardin féerique, — Et tout cela tient, on ne sait comment, suspendu au-dessus du vide. — On a de temps en temps, au-dessous de soi, des échappées de vertige, ou bien on voit de grandes flèches de marbre, toutes penchées sur la plaine, tout de travers, séparées des autres comme prêtes à tomber. Quelquefois on passe sous des portiques très anciens, d’une forme chinoise d’autrefois; les monstres qui perchent dessus ont pris la teinte grise du rocher. Les pervenches-du-Cap font sur les marches une jonchée, une traînée rose.

A mi-côte, une grande pagode apparaît; les lianes et les pierres nous l’avaient cachée. Elle est au fond d’une cour silencieuse, dans une espèce de petite vallée sinistre. Les pervenches roses ont aussi envahi les dalles de celle cour. — La pagode est toute hérissée de cornes, de griffes, de choses horribles, de formes vagues et effrayantes. — Des siècles ont passé dessus. — Elle a un air de sépulcre, de demeure enchantée, bâtie là par des génies.

Et je demande à Lee-Loo, vert et orange : « C’est là cette pagode que nous sommes venus voir? » Lee-Loo sourit: « Non, plus haut. Mais regarde au dedans, par ce trou. » Au dedans, le sanctuaire est encore peuplé de ses idoles; elles sont assises au fond, dans l’obscurité, toutes couvertes d’or, étincelantes.

Lee-Loo dit : « Il faut d’abord aller chez le grand-bonze; sa maison est ici, à côté. » il paraît qu’elle est habitée, cette montagne, par des bonzes solitaires. C’est une surprise ; je croyais les grands singes seuls.

Dans une autre toute petite vallée qui s’ouvre à côté, mystérieuse,