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PAGODES SOUTERRAINES

A MADAME LEE CHILDE.

En ce moment, je revois une grande lagune morne, qui est là-bas, en Annam. Je me souviens d’y avoir navigué tout un jour dans une jonque mandarine.

Il faisait une chaleur lourde et un temps très sombre, — Les rives basses étaient couvertes d’herbages d’une teinte fraîche d’avril; tout au bord de ces eaux mortes, elles déroulaient lentement leurs bandes de velours vert, où paissaient des buffles.

Lee-Loo disait : « Il faut boire, encore boire, tchountchoun, » — et il versait l’alcool de riz dans nos toutes petites tasses de porcelaine peinte.

Au fond de cette jonque tapissée de nattes, nous étions couchés à plat, la tête posée sur ces espèces de tambours très durs qui sont les oreillers chinois.

Une toiture courbe, trop basse, s’allongeait par-dessus nous en dos de poisson, avec une charpente comme des vertèbres, nous donnant le sentiment d’être emprisonnés dans le ventre d’une bête.

Par des petits trous ronds nous voyions défiler le pays triste. — Où pouvions-nous bien aller?.. Depuis plusieurs heures, nous nous étions coulés en rampant sous cette carapace de rotin, ayant l’attente et la curiosité de quelque chose d’extraordinaire que Lee-Loo nous menait voir...