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par 943 voix contre 220, cette assemblée repoussa, au scrutin secret, la demande du gouvernement, en se fondant sur ce qu’une nouvelle prorogation préjudicierait aux droits d’une certaine catégorie d’actionnaires et pourrait être entachée de nullité. L’assemblée adopta à l’unanimité, aussitôt après ce vote, une résolution par laquelle elle autorisait le conseil d’administration à déclarer, au nom de la société que « celle-ci, composée d’Italiens, était fermement résolue à seconder les intentions du gouvernement au sujet de l’organisation des chemins de fer de la façon qu’il jugera la plus avantageuse à l’industrie et au commerce ; à se prêter à tout ce qui peut concilier avec la situation du trésor public les intérêts généraux du pays et les intérêts particuliers de la société. » Malgré ce correctif, le vote de l’assemblée générale fut envisagé comme un coup fatal porté à la loi, parce qu’on avait toujours considéré jusque-là le rachat de tous les chemins de fer comme un préliminaire indispensable à leur mise en régie.

Il n’en était rien. Ni M. Depretis ni son nouveau collègue ne perdirent courage. Ils ne retirèrent point la loi, bien qu’ils reconnussent la nécessité de la remanier, et ils la firent mettre à l’ordre du jour des bureaux de la chambre, au sein desquels elle fut l’objet d’une discussion approfondie. À ce moment, les polémiques de la presse se réveillèrent plus ardentes et plus passionnées que jamais. La défiance et l’ignorance qui en est la mère sont des défauts inhérens à la démocratie : les hommes qui se meuvent dans un cercle étroit et n’obtiennent au prix de grands efforts personnels que de médiocres résultats sont enclins à croire que l’improbité est le ressort des grandes affaires et que les fortunes qui s’élèvent au-dessus de la moyenne ne se peuvent acquérir qu’au détriment de la nation. Comme les capitaux ne se groupent guère qu’autour de personnages connus, dont la situation personnelle et le renom d’habileté peuvent inspirer confiance, les sociétés financières, si honorables que soit leur composition, si droite que soit leur gestion, ne sont considérées que comme des instrumens au service de ce qu’on appelle volontiers les loups cerviers de la finance. Dans toutes les combinaisons qui s’étaient produites depuis six années, il avait été admis que le réseau adriatique devait être dévolu à la Société des chemins méridionaux qui en exploitait déjà les lignes principales, et qu’on ne renouvellerait pas la faute, commise à l’égard de la Société de la Haute-Italie, de briser une organisation éprouvée et de détruire une puissante agrégation de capitaux pour se jeter dans l’inconnu. Or il était notoire qu’une grande partie des actions de la Société des chemins méridionaux était la propriété du comte Bastogi et des capitalistes florentins qu’il avait groupés autour de lui. On savait,