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motifs d’ordre public… » La conséquence d’un droit aussi exorbitant était de mettre tous les employés des chemins de fer à la merci des influences politiques et de leur retirer toute liberté d’opinion.

La mise en discussion de ce projet de loi semblait d’autant plus urgente que le gouvernement était acculé à une échéance très rapprochée. En modifiant les conventions avec la société des chemins méridionaux, le gouvernement avait demandé à cette Société de prolonger de deux ans le délai qui lui était accordé pour réaliser le traité de rachat, conclu depuis plusieurs années, et ce nouveau délai expirait le 30 juin 1883. Il n’y avait donc pas de temps à perdre ; mais l’auteur de la loi semblait fort refroidi pour son œuvre.

M. Baccarini avait-il, à la longue, subi l’influence de ses bureaux, fort désireux de voir l’exploitation demeurer entre les mains du gouvernement ? Était-il intimidé par la polémique ardente et peut-être intéressée que les journaux de l’opposition dirigeaient contre les personnages financiers qu’on s’attendait à voir à la tête des futures sociétés ? Toujours est-il que le ministre des travaux publics ne témoignait aucun empressement à faire voter une loi à laquelle tout autre aurait été désireux d’attacher son nom. Un journal de Milan publia même, par une indiscrétion peut-être souhaitée, une lettre écrite par M. Baccarini à des ingénieurs de cette ville et dans laquelle le ministre déclarait n’avoir présenté la loi qu’à contrecœur, en sacrifiant ses idées personnelles aux exigences de la discipline ministérielle. Or la remise des chemins de fer à l’industrie privée figurait en tête du programme avec lequel M. Depretis et la gauche étaient arrivés aux affaires en 1876 ; elle avait été inscrite de nouveau dans le programme du cabinet formé en 1881. M. Depretis était donc irrévocablement engagé, et l’attitude prise par M. Baccarini dans cette question des chemins de fer, venant s’ajouter à d’autres dissentimens manifestés par les ministres du commerce et de la justice, détermina une crise ministérielle. Le président du conseil mit ses trois collègues en demeure de se conformer rigoureusement au programme adopté par le cabinet tout entier, deux ans auparavant, ou de se retirer. Tous les trois dominèrent leur démission. Le ministère fut reconstitué au bout de quelques jours ; et ce fut le rapporteur de la commission d’enquête, M. Genala, qui prit le portefeuille des travaux publics.

On était arrivé à la dernière semaine de mai. Dès le 10 de ce mois, à l’ouverture de la crise ministérielle. M. Depretis avait demandé à la Société des chemins méridionaux une nouvelle prorogation, jusqu’au 30 juin 1884, du délai dans lequel devrait s’effectuer le rachat de ses lignes. Les exigences des statuts me permirent pas de réunir l’assemblée générale des actionnaires avant le 19 juin ; et