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les appréhensions exprimées dans l’enquête au sujet de la transformation de tous les employés des chemins de fer en fonctionnaires investis de l’infaillibilité administrative. Il est impossible d’être moins communicatif et de témoigner moins d’empressement pour le service du public, que cette administration dirigée, cependant, par des hommes d’un incontestable mérite. Il y a trois ans, dans les premiers jours de mai, un éboulement considérable se produisit sur la ligne de Turin à Modane, à l’entrée du tunnel de La Gombetta, entre les stations de Chiomonte et de Salbertrand, immédiatement après le passage du train qui venait de Modane. La direction générale de Turin, avisée aussitôt, se contenta de faire afficher dans la gare, au-dessus du guichet où se délivrent les billets, que les trains dans la direction de Modane ne partiraient pas. Le lendemain, on annonça avec le même laconisme que ces trains iraient seulement jusqu’à Suse. Les hôtels de Turin regorgeaient de gens qui revenaient d’assister à l’ouverture de l’exposition de Milan et qui s’en retournaient en France ou en Suisse. Impossible pour eux d’obtenir le moindre renseignement sur la cause de cette brusque interruption du service ni sur sa durée. On ne sut rien de l’accident que par les journaux de Milan et par les récits de quelques voyageurs, venant de France, qui avaient franchi à pied la distance qui sépare Salbertrand de Chiomonte. L’administration italienne savait à quoi s’en tenir sur l’importance de l’éboulement ; il nécessita des travaux qui durèrent plus de deux mois. Il n’y avait donc pas à se faire illusion sur la nécessité d’établir un service de transbordement : on en avait les élémens sous la main, à Suse, dans les chaises de poste et les chevaux qui font franchir aux touristes le Mont-Cenis. L’administration française des Briançonnaises, dont les diligences, conduites par d’excellons chevaux de montagne, viennent à Salbertrand, à tous les trains, n’aurait pas demandé mieux que d’envoyer ses voitures jusqu’à Chiomonte. La plus petite compagnie française d’intérêt local eût, en quelques heures, pourvu à ces détails. L’administration italienne eut besoin de quatre jours : elle négocia avec l’entreprise des tramways de Turin, mais trouvant ses prétentions trop élevées, elle traita avec l’entreprise des omnibus de San-Pier d’Arena à Gênes, dont elle transporta laborieusement sur ses rails les chevaux, les conducteurs et l’ignoble matériel. Grâce à cette sordide lésinerie, les communications entre la France et l’Italie demeurèrent suspendues pendant quatre jours : encore cette administration économe ne voulut-elle s’engager à assurer le transport que de trente-six voyageurs par train : les autres devaient se tirer d’affaire comme ils pourraient.

Si nous sommes entrés dans ces détails, qu’il serait aisé de