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aplanir toutes les difficultés. » Pour soutenir Custine, le seconder, et peut-être le surveiller au besoin, Dumouriez lui adjoignit des secrétaires, Rivais et Benoît entre autres ; ce dernier espérait s’approcher de la cour grâce à un ancien lieutenant de Bouille, Heymann, qui avait pris du service en Prusse, passait pour jouir de la faveur du roi, et sur lequel Dumouriez croyait pouvoir compter.

Le premier point était de gagner la Prusse ; le second était de neutraliser l’Allemagne. Ce n’était pas une opération malaisée ; il suffisait de rassurer les petits états, qui ne demandaient qu’à rester en paix, craignaient presque de se défendre, et redoutaient la coalition de la Prusse et de l’Autriche presque autant que la révolution française. Il n’y avait avec l’Empire qu’une affaire sérieuse : celle des princes allemands possessionnés en Alsace. Ils avaient protesté contre la suppression des droits féodaux ; ils prétendaient que ces droits étaient garantis par les traités de Westphalie et qu’enfreindre ces traités, sur ce point, c’était compromettre, annuler même le titre en vertu duquel l’Alsace avait été cédée à la France. La France avait résolument écarté ces objections et répondu qu’elle était libre, comme tout état indépendant, de modifier sa constitution intérieure. Elle offrait une indemnité. Plusieurs princes étaient entrés en négociation : c’était le seul moyen de régler le conflit. Les agens français en Allemagne devaient y engager les Allemands, déclarer que ce serait peine perdue de demander à la France de revenir sur les principes fondamentaux de sa nouvelle constitution. Les princes ont le choix entre une transaction équitable et tous les périls d’une guerre. Que ne reviennent-ils à la politique des traités de Westphalie ? L’Autriche ne les en détourne que pour les asservir ; l’intérêt de la France est de défendre leur indépendance : « La France, devait dire l’envoyé français près de la diète, est la seule nation qui puisse aujourd’hui sauver la liberté germanique[1]. » C’est à la Bavière surtout que ces discours s’adressent : l’Autriche a voulu la démembrer, elle médite de l’annexer en transportant sa dynastie aux Pays-Bas ; la France ne cessera de s’y opposer ; elle a élevé la Prusse contre l’Autriche, il est de son intérêt d’élever entre la Prusse et l’Autriche une troisième puissance qui les divise et les contienne : ce rôle est réservé à la maison de Bavière et la doit conduire aux plus hautes destinées.

La neutralité qu’il espérait de l’Allemagne, Dumouriez était sûr de l’obtenir du Danemarck et de la Suède : Gustave III était seul à vouloir la guerre, et on venait de l’assassiner. La Russie était très hostile, mais elle était très éloignée, et Dumouriez pénétrait bien ses intentions, qui étaient de pousser les autres à la guerre, de n’y

  1. Instructions de M. Caillard, mars 1792.