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et des légations[1] ; mais ce n’étaient là que les instrumens de la révolution qu’il se proposait d’accomplir dans la diplomatie. Il s’agissait d’opérer un changement de front devant l’ennemi. La manœuvre était hardie. Le plan qu’il conçut pour l’exécuter était ingénieux : dans son ensemble, profond même dans quelques-unes de ses parties. Dumouriez partait de cette donnée, fort juste d’ailleurs, que l’Europe considérait la France comme un état en dissolution, une seconde Pologne ; que les puissances voisines voudraient profiter, comme en Pologne, de l’anarchie pour intervenir et de l’intervention pour démembrer ; que les puissances éloignées laisseraient faire les autres, ne voulant point s’opposer à l’entreprise ou ne pouvant point s’y associer. On annonçait un congrès, c’était la préface du partage. Il fallait déconcerter la ligue qui se formait, séparer l’Autriche de ses alliés, et profiter de l’irritation des Belges pour porter hardiment la guerre dans ses états. « J’ai conseillé la guerre offensive, écrivait Dumouriez quelque temps après son entrée au ministère[2], parce que je l’ai crue nécessaire dans les Pays-Bas : 1° pour éloigner le fléau et la confusion de la défense d’une frontière qui n’est qu’à cinquante lieues de Paris ; 2° parce que le peuple belgique semblait attendre l’instant de notre invasion dans les Pays-Bas pour embrasser la cause de la liberté ; .. parce que je savais que nous n’avions pas dans la trésorerie nationale un numéraire suffisant pour la campagne… Je ne me suis pas dissimulé l’insubordination des troupes, l’inexpérience des officiers de remplacement et même d’une partie des généraux ; mais j’ai compté sur le courage français… » Sa confiance était raisonnée ; l’événement prouva qu’il raisonnait bien. « Nous soutiendrons cette guerre avec énergie, et même avec succès, écrivait-il le 30 mars[3], parce qu’il est impossible que des opérations militaires combinées entre tant de puissances puissent réussir, et parce que la rage de la liberté gagnera tous les stipendiaires qui viendront se frotter contre nous. »

Il voulait provoquer en Belgique un soulèvement qui faciliterait l’invasion. Les nations voisines en ressentiraient le contre-coup. Il y avait beaucoup de mécontens en Hollande ; le parti « patriote, » vaincu par les Prussiens en 1787, n’attendait qu’une occasion pour prendre sa revanche. Le stathouder et ses amis, seraient forcés d’y réfléchir. Par un singulier coup de partie, l’invasion de la Belgique, qui devait surprendre l’Autriche, devait du même coup paralyser l’Angleterre. A ne raisonner que sur les faits acquis et d’après les idées reçues, il semblait que cette offensive des Français aurait, en 1792, comme

  1. Voir Masson, le Département des affaires étrangères pendant la révolution, ch. IV.
  2. Projet de lettre au président du comité diplomatique, 1er mai.
  3. Réflexions pour la négociation d’Angleterre en cas de guerre.