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quelquefois fine et dédaigneuse… le ton net et ferme, des manières brusques sans être rudes et vives, et, en même temps, retenues sans être emportées[1]. » Poudré à blanc, très soigné dans sa mise, gesticulant fort de ses mains, qu’il avait petites et ridées ; rien du soudard ni de l’officier de fortune ; rien non plus du fanatique, encore moins du puritain ; très cultivé, familier avec les lettres, plein de politesse, d’esprit, de séduction, aussi rompu aux mœurs des chancelleries qu’à celles des camps, plus près enfin de l’état-major de Frédéric que de celui de Cromwell ou de Washington.

Les grandes occasions lui arrivaient. La vie lui avait donné tout ce qui convient pour les exploiter, rien de ce qu’il faut pour s’en rendre maître. Il connaissait la politique, il y apportait, avec une sagacité toujours en éveil, une extraordinaire souplesse d’esprit, une fécondité surprenante de moyens, l’art de se plier aux circonstances, le coup d’œil, la repartie, l’invention. Mais il n’avait pratiqué la politique que dans les dessous, étudié la diplomatie que dans les coulisses. Il comptait trop avec les hommes, avec lui-même surtout, pas assez avec les événemens : attendant trop des petites passions qu’il savait gouverner, rien des grandes, qui lui échappaient ; trop artiste en intrigue, trop confiant dans la ruse ; une vue pénétrante, mais courte, grossissant les objets voisins et se troublant sur les hauteurs ; une imagination présomptueuse qui l’aveuglait sur les obstacles et le trompait sur les moyens ; enfin, une incurable étourderie qui diminuait tout en lui et rompait constamment la suite de ses desseins. Il avait l’étoffe d’un politique, mais le vêtement qu’il portait était fait à la taille d’un agent secret ; et le ministre le garda, De même, l’homme de guerre conserva toujours quelque chose du batteur d’estrade et du partisan. Il possédait, a dit un illustre historien[2], « toutes les ressources des grands hommes. » Il lui manquait le caractère. La tempête dans laquelle il s’était jeté le souleva très haut : en reprenant terre, il reparut tel que son existence équivoque l’avait fait. On le vit, tour à tour et à très peu de distance, se présenter en héros et se retourner en traître. Au fond, il y avait en lui de l’un et de l’autre : c’était un aventurier.


II

Dumouriez arrivait au ministère avec une politique à suivre et des amis à placer. Il écarta les anciens commis qui lui étaient suspects, leur substitua des hommes nouveaux dont il se croyait sûr, et prépara un grand mouvement dans le personnel des ambassades

  1. Rœderer, Portraits.
  2. Mignet, Histoire de la Révolution française.