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insensiblement avec la santé et la vie, allaient se trouver gênées. Ses prières étaient moins longues, ses conférences avec le père Pérusseau moins fréquentes, sa tendresse pour la reine moins démonstrative. Faut-il ajouter, comme l’affirme dans ses Mémoires, avec une indécence malicieuse, la vieille duchesse de Brancas, que la pauvre reine, toute heureuse de se croire aimée de nouveau, se donnait le tort de jouir avec trop peu de discrétion de son triomphe, s’en laissait félicitée tout haut par ses dames, et qu’elle fut même assez mal inspirée pour essayer d’attester cette reprise de possession, par je ne sais quel air de rajeunissement dans son extérieur et de coquetterie dans sa toilette qui prêtait un peu à rire ? Rien n’était plus propre assurément à faire naître dans la mémoire de son époux des regrets et des comparaisons qui n’étaient pas à son avantage[1].

Quoi qu’il en soit, cette altération insensible des sentimens du roi était suivie avec une curiosité railleuse par tous les courtisans ; mais ceux qui s’appliquaient le plus attentivement à en discerner les moindres nuances étaient, comme on peut bien le penser, les ambitieux qui avaient lié leur fortune à celle de la favorite et qui avaient pu se croire un moment entraînés dans sa disgrâce. C’étaient Tencin, accouru à Metz avec les autres ministres à la nouvelle de la révolution du palais, et beaucoup moins soucieux de l’honneur de l’église que touché des malheurs de l’amie de sa sœur ; Belle-Isle, compromis par sa générosité de la dernière heure ; Richelieu surtout, qui, ne pouvant se flatter de faire oublier sa complicité dans toutes les faiblesses royales, n’avait de ressource que de spéculer hardiment sur leur retour. Tous ceux-là voyaient avec un plaisir mal déguisé le roi retourner, par degrés, à ses instincts naturels. Mais en face d’eux, un autre groupe formé des amis de la reine, de Châtillon, gouverneur du dauphin, de tous les gens pieux, en un mot, qui avaient applaudi à la fin des scandales, et de Maurepas (peu digne de : leur être associé, mais qu’un ressentiment personnel enrôlait dans leurs rangs), était également en éveil, craignant à tout moment, de perdre l’ascendant qu’il venait à peine de reconquérir.

Noailles, dans la situation critique où le plaçait sa mésaventure, avait le malheur de ne pouvoir compter sur l’appui ni de l’un ni da l’autre des deux partis qui se tenaient ainsi en observation. Il avait pris trop de part, aux débuts, de la liaison du roi avec Mme de Châteauroux, vécu avec elle pendant les premiers temps de sa faveur dans une trop grande et trop visible intimité, pour n’être pas vu avec

  1. Mémoires de Luynes, t. VI, p. 85. — Fragmens des Mémoires de la duchesse de Brancas.