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femme. Elle lui fait conclure avec Girart un accord qui ne lui plaît pas. Devant tous ses barons, il reconnaît qu’il a eu tort de lui céder : « J’ai fait une sottise, dit-il ; cela peut arriver. C’était après le vin, non pas à jeun. » Aussitôt, pour réparer sa faute, il recrute une armée nombreuse de chevaliers et de gens de pied et se prépare à marcher contre son ennemi ; mais cette fois encore, il suffit à la reine de paraître pour changer ses dispositions. « Elle n’arriva qu’à la tombée de la nuit ; elle entra dans la salle avec ses fidèles. Le roi en la voyant baissa la tête et lui fit mauvaise mine ; — elle rit, — elle entra seule dans sa chambre, ôta sa robe et en mit une plus belle, d’une fine pourpre, toute parfumée. Elle avait la peau blanche, le teint clair ; elle était belle comme une rose en fleur. » Et le roi lui accorda tout ce qu’elle voulait.

Au-dessous des deux chefs, l’auteur a représenté quelques figures énergiques de chevaliers. Tel est ce Boson qui, après une défaite, quand on fait tristement le compte des morts, s’écrie : « Par Dieu ! je ne veux pas pleurer. Nous avons été tous élevés et dressés pour une telle fin ; pas un de nous n’a eu pour père un chevalier qui soit mort en sa maison ou en sa chambre, mais en grande bataille, par l’acier froid, et je ne veux pas porter le reproche d’avoir fini autrement. » On se figure comment il doit parler dans le conseil et ce qu’il répond au comte Girart quand on le consulte : « Sire, n’écoutez pas ces donneurs d’avis, qui ne cherchent qu’à mettre leurs richesses en lieu sûr. Si vous les croyez, vous serez déshonoré. Mais ne fussions-nous que vous et moi, avec nos hommes, nous combattrons Charles par les plaines herbues jusqu’à la défaite du roi envieux. » À ces violens, qui sont nombreux, le poète oppose quelques hommes sages, un surtout, le comte Fouque, le plus brave soldat, le meilleur conseiller de Girart, le type du vassal accompli. De tous les personnages qui paraissent dans la chanson, c’est le seul qui soit loué sans réserve. Par un artifice adroit, dont les épopées antiques nous offrent quelques exemples, l’auteur a placé son éloge dans la bouche d’un homme qui n’est pas suspect, du roi Charles, son plus grand ennemi. « Seigneurs, dit-il aux Français qui l’entourent au moment de la bataille, voyez le meilleur chevalier qui ait jamais existé. Je vous dirai qui il est, si vous m’écoutez. On l’appelle Fouque, le cousin de Girart… Il est preux, courtois, distingué, franc, bon, habile parleur. Il connaît la chasse au bois et au marais, il sait les échecs, les tables, les dés. Jamais sa bourse n’a été fermée à personne, il donne à qui lui demande. Il est plein de piété envers Dieu… Il déteste la guerre et aime la paix ; mais quand il a le heaume lacé, l’écu au col, l’épée au côté, il est fier, furieux, emporté, sans merci, sans pitié, et c’est quand la foule