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pays d’origine, il ne regarde pas à se servir des autres quand il y trouve quelque avantage. Les formes qu’il emploie le plus ordinairement appartiennent au roman du Midi, ce qui semble prouver qu’il était méridional de naissance ; mais d’autres peuvent être réclamées par le roman du Nord, et quelques-unes semblent intermédiaires entre les deux. M. Meyer pousse plus loin son étude, et il essaie de savoir en quel endroit précis de la France le poème a dû être écrit. Le travail auquel il se livre à ce sujet est fort curieux et suppose une connaissance exacte de tous les patois qui se parlaient au XVIIe siècle. Examinant tour à tour toutes les particularités de langage qu’il remarque dans le poème et cherchant à quelles localités diverses elles correspondent, il enferme son auteur dans une sorte de cercle assez restreint dans lequel il a dû certainement vivre. Ce pays, selon lui, est situé à la latitude de Lyon, mais plus à l’ouest ; vraisemblablement vers le sud du Poitou.

Sous la forme où nous l’avons, qui n’est pas la plus ancienne, le poème a été composé vers la seconde moitié du XIIe siècle, c’est-à-dire dans le feu des croisades. Il contient l’histoire d’une de ces luttes, si fréquentes à cette époque, entre un vassal et son suzerain. Comme les événemens y sont nombreux, sans être variés, et ne diffèrent que par les détails, il n’est pas aisé d’en faire l’analyse. Je voudrais pourtant les résumer aussi rapidement que possible.

Le début du poème, qui est d’une grandeur et d’une solennité remarquables, n’a pas tout à fait le caractère du reste. M. Meyer croit que c’est une scène qui a été ajoutée à la rédaction primitive. Le roi Charles[1], entouré de ses barons, tient à Reims sa cour plénière ; le pape est venu le solliciter en faveur de l’empereur de Constantinople, que les païens serrent de près. Pour décider le roi à lui envoyer des secours, l’empereur a promis ses deux filles, l’une à Charles lui-même, l’autre à Girart de Roussillon, son plus illustre vassal. Girart part avec le pape pour Constantinople et en ramène sa fiancée et celle de son suzerain ; mais ici les difficultés commencent. C’est l’aînée qui est promise au roi ; au dernier moment, le roi préfère l’autre ; et, après de longues discussions, Girart, sur les instances du pape, consent à la lui céder. De là une haine sourde, qui, un peu plus tard, semble être la cause de la rupture entre le suzerain et son trop puissant vassal[2]. Le

  1. Quel est ce roi qui va jouer un si grand rôle dans la chanson ? Il n’est pas aisé de le savoir. Tantôt on l’appelle Charles Martel, tantôt on laisse entendre que c’est Charles le Chauve. Ici, il reçoit le nom de roi, ailleurs celui d’empereur. Nous voyons par là le peu de cas que ces poètes faisaient de l’histoire.
  2. M. Meyer a raison de trouver que cette histoire est assez maladroitement rattachée au reste. Il n’en est plus question dans la suite, et les querelles du roi et de son suzerain sont amenées par d’autres causes.