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vulgaria carmina magnis,
Laudibus ejus avos et proavos celebrant,
Pipinos, Carolos, Hludowicos et Theodricos,
Et Carlomannos Hlotariosque canunt.


Non-seulement M. Pio Bajna croit que ces chants ont existé, mais il est convaincu que, quoiqu’en apparence il n’en reste rien, ils n’ont pas péri tout entiers, et il cherche résolument à en retrouver quelques traces. Ce qu’il a dépensé de science et d’esprit dans ce travail délicat est incroyable, et c’est peut-être la partie la plus curieuse et la plus nouvelle de son livre. L’histoire des Francs nous a été transmise par des moines assurément peu suspects de poésie ; pourtant ces moines eux-mêmes n’ont pas pu fermer tout à fait l’oreille aux chansons populaires ; elles les ont poursuivis jusque dans les cloîtres où elles étaient tenues en petite estime. C’est ainsi que sont entrées dans leurs récits prosaïques ou pédans quelques légendes naïves qui tranchent singulièrement avec la sécheresse et la médiocrité du reste. M. Rajna les recueille soigneusement, il les dégage des altérations qui les défigurent, il tâche de leur rendre leurs couleurs effacées et reconstitue ainsi des fragmens d’épopée. Avec un peu d’efforts, il en trouve dans la vie de Childéric, dans celle de Clovis et de ses successeurs. Parmi ces épopées, il en est une à laquelle il s’attache avec une sorte de passion, celle qui racontait la lutte soutenue par Théodebert, par Clotaire, par Dagobert, contre les Saxons, pour les vaincre et les convertir. C’était le grand événement de l’époque mérovingienne, l’imagination du peuple en avait été sans doute très frappée ; et M. Rajna pense que quelques débris des chants qui furent composés à cette occasion se sont conservés dans les chroniques contemporaines. Avec ces miettes éparses, il essaie de reconstruire l’ensemble et de lui rendre la vie. Puis, l’épopée à peu près restituée, il en suit la trace dans les chansons de geste du XIe et du XIIe siècle que nous possédons. Pour l’y reconnaître, il faut faire un grand effort d’imagination. Les noms y sont dénaturés à plaisir, et les événemens ont pris des couleurs différentes. Les Saxons, d’ordinaire, sont devenus des Sarrasins ; Clotaire, Dagobert, Charles Martel ont cédé la place à Charlemagne. Le grand empereur a dépossédé de leur gloire ceux qui régnaient avant lui, et les légendes qu’on avait faites pour eux se sont réunies sur sa tête. Mais M. Rajna pense qu’elles existaient bien avant sa naissance et qu’il faut les rendre à ses prédécesseurs. S’il en est ainsi, les jongleurs du XIIe siècle, qui se piquaient d’invention et de nouveauté, ne faisaient que répéter, sous d’autres noms, avec des changemens et des rajeunissemens de toute sorte, un poème dont