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que la France n’est pas une improvisation d’hier et qu’il n’y a rien dans son passé qui mérite l’oubli ; si, en leur montrant que sa gloire littéraire est beaucoup plus ancienne qu’ils ne croyaient, elle augmente le respect et l’affection qu’ils éprouvent pour leur pays, je la trouve tout à fait sage et utile : à ce prix, je ne suis pas tenté de me plaindre qu’on ait ajouté quelques heures de travail au fardeau déjà si lourd dont nos enfans sont surchargés.

Notre vieille littérature a donc repris faveur de nos jours, et il s’est formé toute une école de jeunes savans qui s’occupent d’elle avec passion. D’ordinaire leurs ouvrages ne s’adressent qu’aux érudits de profession ; mais ils méritent souvent de sortir du cercle étroit pour lequel ils sont écrits ; et il me semble que les gens même qui sont étrangers à ces études gagneraient à les connaître. Indépendamment du plaisir qu’éprouve un esprit curieux à voir se former une science nouvelle et à pénétrer, à la suite de critiques sagaces, dans une littérature inconnue, la lumière qu’ils répandent sur elle se trouve éclairer aussi les autres. Il y a des côtés par où elles se ressemblent toutes, et souvent une œuvre médiocre, quand on la connaît à fond, nous fait mieux comprendre un chef-d’œuvre. Si nous parvenions à savoir exactement comment est née l’épopée du moyen âge, par quelles phases elle a passé, les conditions dans lesquelles elle a grandi et les raisons qui l’ont fait décroître, soyons sûrs que nous aurions une idée plus nette des poèmes homériques et que nous serions plus près de résoudre cette question de l’épopée dont les savans s’occupent depuis Aristote et Horace sans qu’elle soit devenue beaucoup plus claire.

Précisément il vient de paraître, dans ces derniers mois, deux livres fort importans sur ces matières délicates. Ils sont composés dans un esprit différent et n’arrivent pas aux mêmes conclusions ; mais tous les deux ajoutent à nos connaissances et nous donnent des lumières nouvelles sur l’histoire de nos anciennes épopées. Je crois donc qu’il ne sera pas sans intérêt et sans profit d’en faire une analyse rapide.


I

Le premier de ces ouvrages n’a pas été publié chez nous ; il nous vient de l’Italie. N’en soyons pas étonnés : notre poésie du moyen âge a ce caractère d’être au moins aussi connue hors de chez elle qu’en France. Comme, elle s’est répandue dans le monde entier, qu’elle a servi de modèle aux premiers essais des différentes nations de l’Europe, elle n’est nulle part étrangère. Partout, quand la